Journalistes, pourquoi êtes-vous si négatifs ?

Par Ulrik Haagerup, journaliste, président fondateur du Constructive Institute, ancien directeur de l’information de la télévision publique du Danemark

Un jour, lors d’une petite fête de voisinage, je me suis retrouvé à côté d’une ado. Et en quelques minutes, j’ai réalisé que le journalisme était en train de mal tourner. « Alors, comment ça va l’école ? » lui ai-je lancé pour tenter de démarrer la conversation. « Ils nous ont donné des devoirs. Tellement pénibles », a-t-elle répondu. « On doit regarder les infos et lire un journal du début à la fin tous les jours pendant une semaine ENTIÈRE. C’est tellement déprimant. Pourquoi vous, les journalistes, êtes-vous si négatifs ? », m’a-t-elle interrogé derrière sa frange et son mascara maladroit d’élève de 3e.

Bingo ! Encore une fois ! J’ai donc dû passer quelques minutes à expliquer pourquoi nous les journalistes ne sommes pas négatifs mais que, d’une part, nous faisons notre travail à raconter au public ce qu’il se passe dans le monde, et que, d’autre part, prendre connaissance des nouvelles était essentiel pour pouvoir participer au débat démocratique.

« J’ai juste hâte d’être à lundi », a-t-elle dit calmement. « Je pourrai regarder de nouveau Paradise Hotel. »

Saisir les cinquante nuances de gris

J’ai quand même commencé à me demander si elle avait entièrement tort. Le monde est-il en réalité aussi mauvais et dangereux qu’il est décrit dans les infos ? 

Non. Il ne l’est pas. En fait, le monde va même, à de nombreux égards, dans la bonne direction. Dans son livre Factfulness (Flatiron, 2018), Hans Rosling indique que la faim, la pauvreté, l’analphabétisme ont énormément reculé depuis 1990, que le nombre d’actes criminels reflue dans la plupart des pays, que l’espérance de vie croît, que de plus en plus de femmes ont accès à une meilleure éducation. Mais les gens ne sont pas conscients de ces progrès car on n’en parle pas dans les infos quotidiennes.

Comme je l’ai indiqué à l’adolescente, les infos sont essentielles pour permettre aux citoyens de prendre part au débat démocratique. Mais que se passe-t-il quand les nouvelles ne leur donnent qu’une vision du monde négative, et donc inexacte ? N’est-il pas crucial d’avoir la vision globale de l’actualité pour prendre part au débat et se former une opinion bien informée ?

Les médias d’informations doivent changer pour fournir au public une vision plus exacte du monde. Et rapporter les progrès réalisés autant que les conflits. Parler du bien ET du mal. Nous ne devons pas essayer de peindre le monde en noir ou en blanc, mais saisir les cinquante nuances de gris entre les deux. Ce sont elles qui sont vraiment intéressantes.

« Alors, quoi faire maintenant ? Et comment ? »

Les journalistes doivent apprendre à poser deux questions qui ne sont pas enseignées dans les écoles de journalisme : « alors quoi faire désormais ? » et « comment ?». Elles permettent de mettre l’accent sur l’avenir, et pas seulement sur le présent et le passé. Y-a-t-il des solutions possibles pour tel ou tel problème, ou des gens s’en sont-ils sortis d’une manière convaincante ? Est-il possible d’encourager un tel débat public sur le sujet ? Un débat où les gens ne discutent pas seulement de leurs désaccords mais recherchent ensemble des points de convergence. De cette manière, le journalisme revient à sa fonction de base : aider la société à progresser. 

   

Je ne dis pas que le journalisme ne doit pas parler des guerres et des catastrophes. C’est évidemment essentiel que les journalistes continuent de rapporter les faits urgents et d’enquêter sur les injustices. Le journalisme constructif ne va pas remplacer tout le journalisme. Mais la combinaison des breaking news, de journalisme d’investigation et de journalisme constructif va créer une vision du monde plus équilibrée. Ensemble, ils peuvent viser à la meilleure version de la vérité.

Le journalisme, les médias d’informations et la démocratie méritent mieux que cette époque où la confiance et les modèles économiques sont défaits, où le fossé grandit entre la réalité et le public, et qui aboutit à quelque chose qui se résume en cinq lettres : T.R.U.M.P.

Alors que deviennent l’ado que j’ai rencontrée, et tous les autres gens qui se sont retirés du champ de l’information en raison de sa négativité ? Le journalisme constructif s'efforce de laisser le public le plus souvent inspiré et responsabilisé. En étant tournés vers l'avenir, nuancés et équilibrés et en cherchant des solutions possibles et les meilleures méthodes, les médias devraient retrouver leur place d'autorité dans la société et la confiance du public. Même des adolescents.

 

Crédit photo de Une : Yosh Ginsu via Unsplash