Journalisme d'investigation open-source : retour d'expérience de la BBC

Par Mandla Chinula, journaliste, producteur de médias, photographe et cinéaste indépendant. Billet invité originellement publié en Anglais sur IJNet. Il vous est présenté dans le cadre d’un partenariat éditorial entre IJNet et Méta-Media. © [2019] Tous droits réservés.

En juillet 2018, une vidéo montrant des femmes et des enfants se faisant bander les yeux et tirer dessus par des hommes en uniforme militaire a commencé à circuler sur les médias sociaux. Amnesty International a accusé les soldats camerounais d'être responsables des meurtres perpétrés dans le pays. Le gouvernement Camerounais a d’abord rejeté les informations, les qualifiant de « fake news » et insistant sur le fait que les soldats n’étaient pas camerounais.

Via Africa Eye, l’unité d’enquête open-source de la BBC sur l’Afrique a été en mesure d’identifier quand et où les meurtres ont eu lieu, le type d’armes utilisés et l’identité des auteurs. L’enquête a montré que les uniformes militaires portés par les soldats dans la vidéo étaient bien ceux de certaines divisions de l’armée camerounaise.

Le journalisme et les enquêtes open-source impliquent l’utilisation d’informations publiques – telles que des images satellites, des jeux d'open data et les médias sociaux – pour raconter une histoire ou vérifier des événements polémiques. Les journalistes peuvent extraire, vérifier et analyser des données ou informations facilement disponibles sur Internet.

L'enquête a attiré beaucoup l'attention, principalement à cause d'horreur des meurtres et des techniques utilisées pour enquêter et illustrer différents aspects de l'histoire. Africa Eye a publié un fil de discussion Twitter qui résume le rapport d'enquête et qui a reçu plus de 70 000 «j'aime» et 50 000 «retweets».

Daniel Adamson, producteur de séries à Africa Eye, et Benjamin Strick, enquêteur open-source, ont expliqué à IJNet comment ils avaient pu mener l’enquête.

Déterminer le cadre de l'enquête

Les enquêteurs de BBC Africa Eye ont cherché à répondre à trois questions : où cela s’est-il passé ? Quand cela est-il arrivé ? Qui était responsable ?

Préciser les éléments que l’on espère découvrir et les moyens d’y parvenir facilitera un projet de journalisme open-source. Pour avoir une idée des éléments essentiels qui seraient nécessaires à une enquête, Adamson suggère d’être exposé à d’autres travaux en open source.

"Commencez par suivre Bellingcat sur Twitter", conseille-t-il. "Lisez tout leur travail et regardez les outils qu’ils utilisent. Suivez également l’équipe d’investigations visuelles du New York Time - ils brillent par leur travail en open-source. Pour les documentaires d'investigation de toute l'Afrique, suivez BBC Africa Eye sur YouTube. Si vous regardez tous ces films, vous commencerez à percevoir les éléments essentiels d'une enquête."

Une fois que vous avez déterminé un cadre, mener une enquête nécessite de suivre des procédures ou procédés particuliers qui aident à organiser et à accélérer le processus d’enquête. Chaque approche peut ne pas être exactement la même pour tout le monde, mais il est utile de disposer de systèmes pour plus d’efficacité, explique Strick qui travaille souvent à reculons dans ses enquêtes, éliminant ainsi ce qu’il sait ne pas être vrai.

Utiliser des outils gratuits

Les outils utilisés par l'équipe pour enquêter sur les meurtres sont facilement accessibles à quiconque dispose d'un ordinateur et d'un accès Internet.

« Le travail open-source peut être fait par n’importe qui. Les outils sont pour la plupart gratuits. Cela demande juste une volonté d’apprendre, une approche méthodique et de la patience », affirme  Adamson.

Strick a utilisé un lecteur vidéo pour analyser la vidéo image par image et Google Earth pour identifier l’emplacement de la vidéo. L’équipe a également utilisé Sentinel Hub, un système basé sur le cloud pour analyser les images satellites pour confirmer les emplacements, et SunCalc, une application en ligne qui indique les mouvements et la lumière du soleil pour déterminer l'heure des meurtres.

Collaborer avec des non-journalistes

Le journalisme open-source s’appuie fortement sur la collaboration avec des non-journalistes pour contribuer et vérifier les faits. L’équipe travaillant sur le sujet comportait trois journalistes et un groupe d’environ 15 autres collaborateurs organisés en un groupe Twitter et une conversation Slack. Des analystes et des chercheurs d’Amnesty International ont également contribué à l’enquête.

"Il existe toute une communauté d’analystes open-source en ligne, dont beaucoup possèdent des spécialités et des domaines d’expertise. Leur collaboration est essentielle pour ces enquêtes", explique Adamson. "Tous les résultats, bien sûr, sont vérifiés de manière indépendante par la BBC."

Bien que les collaborations fournissent des compétences et des connaissances approfondies, Adamson a également noté que le processus de travail avec des chercheurs open-source peut être un défi, car ils sont habitués à publier des informations au fur et à mesure qu’ils les trouvent.

"La communauté d’investigation open-source est habituée à travailler de manière très transparente, publiant chaque constatation au fur et à mesure sur Twitter" explique Adamson. "C’était un défi de [leur] dire : ‘Attendez, gardez cette information pour l’instant. Allons au fond de l’histoire puis publions’"

 

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