Journalisme : harcèlement en ligne, ça n'arrive pas qu'aux autres

Par Pascal Doucet-Bon, France Télévisions, directeur délégué de l'information

Le cyber-harcèlement, et particulièrement celui des journalistes, est en pleine explosion. Aux Etats-Unis, le nombre de cas de journalistes harcelés a décuplé en deux ans, sans que l’on ne sache dans quelle mesure ils sont plus fréquemment signalés. À l'occasion de l'ONA, Pen America, une association qui défend la liberté de presse, propose un manuel de survie pour les journalistes harcelés.

Les principaux chiffres

L’association Pen America, a interrogé les victimes. 67% de ces journalistes ont déclaré avoir été traumatisés, suite à quoi, ils ont évité toute publication pendant au moins un mois, clôturé leurs comptes sur les réseaux sociaux ou craint pour leur vie.

  • 15% ont totalement cessé de publier.
  • 37% ont décidé d’éviter les sujets pour lesquels ils ont été harcelés.
  • 16% ont clôturé définitivement tous leurs comptes.
  • 64% ont fermé leur compte temporairement.

63% des victimes américaines sont des femmes.

Les harceleurs parviennent souvent à leurs fins. C’est ce qui nous fait dire que le phénomène tient plus de l’attaque anti-démocratique que du fait divers.

Quatre formes de harcèlement en ligne

 Viktorya Vilk, de Pen America, définit quatre grands types de harcèlement en ligne :

  • L'imitation : les harceleurs créent de faux compte à votre nom et publient des propos diffamatoires ou insultants dans le but de vous discréditer.
  • Le bombardement de messages : c’est la forme la plus connue. Le but est de vous atteindre psychologiquement et de bloquer vos comptes. Les téléphones mobiles et les boîtes mail sont plus attaqués que les comptes réseaux sociaux. Les campagnes les plus sophistiquées impliquent des trolls et de bots. Mais une communauté très active et soudée peut déjà bien vous pourrir la vie.
  • L'atteinte à l'image : des images mettant en scène votre intimité sont révélées ou fabriquées.
  • Le signalement calomnieux : les Américains parlent de « swatting », en référence au SWAT, (Special weapons and tactics) l'équivalent américain du RAID. Les harceleurs signalent un danger imminent chez vous ou à votre bureau aux services de police, en vous impliquant.

Les 12 actions de prévention contre le cyber-harcèlement

 « Avant de savoir comment réagir, apprenez à vous protéger en amont. » rappelle Harlo Holmes, Directrice de la cybersécurité de la Fondation pour la liberté de la presse.

  • Mettez à jour régulièrement vos logiciels et vos applications.
  • Créez des mots de passe forts. Adoptez des mots de passe avec au moins 16 caractères (même quand vos entreprises vous en réclament moins), changez les au minimum tous les six mois et, bien sûr, ayez des mots de passe différents pour vos mails, FB, Twitter, etc.. Enfin, inventez vos propres questions de sécurité. Celles qui vous sont suggérées sont trop souvent « bateau ». Veillez à ne pas avoir donné la réponse sur un compte public.
  • Ne vous loguez jamais à une application via FB ou gmail ou autre.
  • Ne donnez pas accès à vos contacts à une application. Autorisez la géolocalisation uniquement si vous la jugez indispensable. Limitez-la au temps d’utilisation de l’application.
  • Dotez-vous d'une application internet pour téléphoner comme Google Voice par exemple.
  • Protégez-vous contre le sim jacking. (Le sim jacking c'est lorsqu'un hacker appelle votre opérateur en se faisant passer pour vous. Il déclare avoir perdu son téléphone et demande à ce que le trafic entrant soit re-rooté vers une autre carte sim, la sienne). Pour cela, demandez à votre opérateur d'associer un code Pin à votre compte afin d'éviter cela.
  • Utilisez des messageries cryptées : Signal, Telegram, WhatsApp ou Wire. « Surtout si vous pensez travailler sur des sujets à risque », souligne Harlo Holmes.
  • Protégez-vous contre le doxing. C’est quoi ? La publication de vos données personnelles (le nom de l’école et les prénoms de vos enfants, par exemple). Des outils pour cela : Stopdatamining.mePrivacy duck ou Google alerts. Faites attention à ne pas laisser d’informations personnelles sur votre biographie lorsque vous participez à une conférence ou à tout autre événement public.
  • Séparez scrupuleusement votre vie privée et de votre vie professionnelle. Choisissez une plateforme pour la vie personnelle et une autre pour la vie professionnelle. Afin de nettoyer vos comptes, toutes les messageries offrent désormais des accès assez faciles pour modifier vos « privacy settings ». Evitez de poster des photos de famille ou de votre maison sur des comptes publics.
  • Cryptez vos mails sensibles. Renseignez-vous auprès de votre fournisseur. Le plus facile : Mailvelope de gmail
  • Sécurisez vos envois de documents sensibles. GlobaLeaks pour les particuliers. Vous pouvez aussi suggérer à votre entreprise d'utiliser Secure Drop
  • Sécurisez votre VPN. Une sécurité à deux niveaux est indispensable.

Un dernier conseil : allez sur Security Planner.

En cas de harcèlement, comment réagir ?

  • Prévenez votre employeur
  • Adoptez les premières mesures de protection de vos comptes. Pour cela, rendez-vous sur Trollbusters.

  • Demandez de l'aide rapidement. Ne laissez pas traîner et ne sous-estimez pas la charge mentale. Contactez un professionnel de la santé ou de la médecine du travail.
  • En cas de bombardements de mails ou de messages, vous n’êtes pas tenu de clôturer vos comptes, d’autant que votre travail pourrait en pâtir. De plus, des preuves pourraient être nécessaires pour les futures poursuites. Des tiers de confiance peuvent temporairement prendre le relais pour que vous puissiez souffler un peu. Vous leur donnerez les clefs de vos comptes pour quelques jours. Soit vous utilisez votre réseau personnel, soit vous vous adressez à HeartMob.

  • Contactez par tous les moyens possibles la plateforme sur laquelle vous êtes harcelé(e). Suivez la procédure de signalement. En cas de refus de suppression ou de blocage, soyez offensif ! Voici l’exemple de la journaliste Julia Ioffe ayant reçu une série de messages antisémites, qu’elle a signalés à Twitter. La plateforme lui a répondu que les règles d'utilisation n’avaient pas été violées. Julia Ioffe a alors publié sa réponse et demandé à tous ses followers de faire de même. Twitter a fini par supprimer le compte en question.

  • Posez-vous les bonnes questions pour évaluer la menace : connaissez-vous le harceleur ? A-t-il un passé violent ? Dans ce cas, portez plainte immédiatement. Quels indices  d’ « l’irrationalité » ? S’il ou elle ne se cache pas, s’il ou elle donne son numéro de téléphone, c’est un indice de danger. Est-il un stalker ? Vise-t-il ou elle votre réputation professionnelle (Y compris avec du doxing). Le préjudice est établi.
  • Face à une armée de bots ? Ignorez l’attaque et fermez vos comptes. Votre harceleur est puissant. Battez en retraite et combattez-le autrement.
  • Si le mensonge est simple, fact-checkez le et mobilisez votre communauté pour partager. Ne laissez pas une contre vérité en ligne sans réponse, même si vous vous sentez moins puissant que votre harceleur.
  • Faut-il bloquer le compte d’un harceleur ? « Cela peut énerver votre harceleur qui peut passer au stade supérieur (par exemple en mobilisant sa communauté). D’un autre côté, cela peut suffire à le dissuader. J’ai provoqué les deux résultats. Cela dépend du profil du harceleur »  explique Viktorya Vilk.

Pour toute information complémentaire, consultez le Manuel de survie contre le harcèlement de Pen America.