Le long format : une solution contre la malbouffe de l'info

Par Diana Liu, France Télévisions, MediaLab

La surabondance de formats courts et la défiance générale envers les médias suscitent un désintérêt du public pour l’information. Le long format permet de remédier à cette tendance générale. Les professionnels des médias l’ont bien compris. Retours d’expérience à l’occasion des #NPDJ à l’École de journalisme de Sciences Po Paris.

Une solution contre la malbouffe de l'info

“Dans une économie de l’attention, nous sommes fatigués par la sursollicitation [d’information]. Il y a des signaux faibles de cette fatigue : le nombre trop élevé d’alertes nous conduit par exemple à désactiver les notifications.”  Bruno Patino, Directeur éditorial d’ARTE et de l’Ecole de journalisme de Science Po Paris

“Aux États-Unis, 7 Américains sur 10 se sentent épuisés par les informations.” Jeffrey Gottfried, Chercheur au Pew Research Center.

À travers des méthodes de reportage rigoureuses et transparentes, le long format restaure le lien de confiance. En cela, il est une solution contre la fatigue sensorielle suscitée par la surabondance de formats visuels courts souvent sensationnels.

Un storytelling pour créer de l'empathie

Aujourd’hui, l’importance est de plus en plus accordée à la narration.

« Le meilleur long format est plus qu’une simple présentation des faits — il permet l’empathie et la compréhension émotionnelle. » Robin Kwong, Responsable de l’innovation à la rédaction du Wall Street Journal

Charlotte Pudlowski, co-fondatrice du studio de podcast Louie Media, s’inspire des codes de narration de Save the Cat de Blake Snyder. « Pour la structure, il faut un début, un milieu et une fin  — et des ruptures inattendues. Les personnages ne doivent pas être archétypaux. Et surtout, il faut dire quelque-chose. Ce n’est pas suffisant de raconter gratuitement. »

Et Géraldine Sarratia, animatrice du podcast « Goût de M » d’ajouter : « Il est important de trouver le système narratif adéquat par rapport à l’histoire »

Le journalisme doit se réinventer. Pour Hossein Derakhshan, écrivain canado-iranien, ce renouvellement aura lieu dans une approche interdisciplinaire où le journalisme s’inspirera du cinéma, du théâtre, de la musique et du dessin. “Je crois à la rencontre entre l’art et le journalisme, entre l’affect et les faits.”

Un espace suffisant pour le décryptage et l’analyse

Mais le long format ne se limite pas aux codes du storytellingIl faut se poser la question du rapport du récit à la réalité. Julia Angwin, rédactrice en chef de The Markup, propose de mettre à l’épreuve des hypothèses en analysant les données.

« Les lecteurs veulent tirer des conclusions concrètes des histoires qu’ils entendent – ils veulent des données. Par exemple, dans quelle mesure les inondations à Venise et les incendies aux États-Unis sont-ils liés au changement climatique ? »

« [À Markup] nous présentons les résultats de nos enquêtes et nos preuves. C’est important pour les lecteurs parce qu’ils tiennent à la véracité de l’information qui leur est présentée. » 

Alexi Mostrous, éditeur chez Tortoise estime également que le flux d’information raconte beaucoup mais informe peu. Pour lui, tous les articles sont similaires. Les journalistes y relatent des informations quotidiennes sans y apporter une réflexion.

“Et si on consolidait les ressources afin de se concentrer sur les questions au cœur de l’actualité ? Les lecteurs se sentiraient plus informés et moins submergés [par les informations]. » Alexi Mostrous, éditeur chez Tortoise

Dans cette démarche pour mieux informer le public, la presse écrite joue un rôle essentiel. L’abonnement à Tortoise comprend une édition trimestrielle d’articles long format : « Les lecteurs aiment bien avoir un produit qu’ils peuvent garder. »

Clément Boulle, journaliste chez Big Time, souligne le succès grandissant des « Mooks » (magazine-books) tels que America et Zadig, qui permettent de s'éloigner du “bruit” des smartphones.

Une expérience d’information immersive et personnalisée

De nouveaux formats visent à placer le spectateur au cœur d’une expérience interactive.

Pour Clara Borrás, Directrice de l’innovation et du numérique de Frontline sur PBS, leurs documentaires « permettent d’exploiter la curiosité du public et ouvrent la voie vers un engagement plus long et plus profond ».

Et pourquoi pas combiner jeu vidéo et journalisme ? Robin Kwong a créé avec son ancienne équipe du Financial Times, « The Uber Game », un jeu interactif exploitant le journalisme de données qui met l’internaute dans la peau d’un conducteur Uber.

Crédit photo : Source.opennews.org

Meghan Sims, Directrice de la stratégie vidéo chez McClatchy, un conglomérat américain d'information local, présente les nouvelles techniques de « journalisme volumétrique (3D) » utilisées dans les rédactions.

Le journal local Sacramento Bee a créé un format 3D pour mettre en image une tentative ratée de sauvetage d’une policière abattu en plein service. « C’est un médium idéal lorsque les objets et les photos sont essentiels pour comprendre une actualité. » commente Meghan Sims.

II ne faut pas non plus hésiter à se servir de ces technologies dans la vie réelle. « Nous constatons un degré élevé d'engagement des spectateurs pour la Réalité Augmentée et la Réalité Virtuelle lors de grands événements. Le contact avec le spectateur dans la vie réelle peut créer un lien durable en faveur du journalisme local. » ajoute-t-elle.

La personnalisation des contenus fait également partie des expérimentations. L’équipe de la BBC a produit un documentaire qui s’adapte aux préférences des internautes. Avant de le visionner, l’individu répond à une série de questions, et ses réponses déterminent la présentation de l’histoire. “Nous souhaitions raconter différentes versions de la même histoire afin de mieux répondre aux besoins de nos publics » explique Matthew Brooks, ingénieur R&D à la BBC.

Bien que l’équipe ait reçu de nombreux retours positifs sur ce nouveau format, les utilisateurs s’inquiètent de la « chambre d’écho » que cette approche personnalisée de l’information pourrait créer.

La possibilité pour le public de participer et d’agir

Dans un climat général de défiance, les médias explorent des pistes pour renouer avec leur public.

Laetitia Limmois, journaliste vidéo sur Snapchat Discover souligne l’importance de faire participer le mobinaute à la production et l’exploration de l’information. « On a affaire à une génération qui aime s’exprimer et participer. »

Lucie Beudet et David Creuzot, cofondateurs de Konbini proposent à leur communauté des pistes d’action. Lorsque Konbini a traité la famine au Congo, le pure-player a décidé de lancer un programme de levée de fonds. En une semaine, 500,000 euros ont été récoltés. « Cela est très révélateur de la façon dont les gens consomment l'information aujourd'hui - ils ne sont plus du tout passifs – il veulent changer les choses » explique Lucie Beudet. Et David Creuzot d’ajouter « le journalisme peut mener à davantage d’engagement dans la vie réelle. »

Chez Tortoise, Alexi Mostrous invite les abonnés à participer à la production journalistique à travers des « ThinkIns » — des événements bihebdomadaires qui rassemblent des membres du public et des experts pour discuter d’un thème précis. Derrière cette initiative, une volonté d’inclusion et de transparence. “Nous souhaitons créer un cercle vertueux entre ces think-ins et notre journalisme » explique Alexi.

Crédit photo : Facebook, École de journalisme de Sciences Po