Face à l’urgence climatique, The Guardian se mobilise

Par Laure Delmoly, France Télévisions, MediaLab

Depuis 15 ans, The Guardian se démarque des autres médias généralistes en mettant la préoccupation environnementale au coeur de sa ligne éditoriale. Porteur de l’initiative mondiale Covering Climate Now, le quotidien britannique a récemment adopté plusieurs mesures radicales -  intégration du taux de CO2 dans la météo, utilisation d'un vocabulaire plus adéquat, évolution du traitement photo - afin de mieux rendre compte de l’urgence climatique.

Porter l’initiative Covering Climate Now

Lancée en avril 2019 et pilotée par The Guardian, The Nation et la Columbia Journalism Review, Covering Climate Now est une initiative journalistique mondiale de 400 médias partenaires visant à mieux rendre compte des enjeux climatiques.

Les médias partenaires incluent :

La première semaine d’action s'est déroulée du 13 au 20 septembre 2019. Cette opération journalistique visait à alerter sur la crise climatique et ses conséquences en vue du UN Climate Action Summit. A cette occasion, le secrétaire général des Nations Unies  accordait une interview au conglomérat Covering Climate Now.

Le prochaine semaine d'action aura lieu du 19 au 26 avril prochain à l’occasion de la journée de la terre. L’audience cumulée de Covering Climate Now s’élève aujourd’hui à 2 milliards de personnes - à suivre sur Twitter via #CoveringClimateNow.

S’engager vis-à-vis des lecteurs 

Le 17 octobre 2019, The Guardian rédigeait une tribune pour s'engager publiquement face à l'urgence climatique. Cette tribune détaille la ligne éditoriale sur le climat pour les années à venir.

« Nous donnerons une place aux figures majeures de la crise climatique. Nous aborderons les questions liées à l'alimentation et aux transports afin d’aider les lecteurs à adopter un mode de vie plus durable. »

« Nous enquêterons sur les structures économiques et politiques qui sous-tendent l’économie du carbone. Nous étudierons les conséquences de la crise climatique sur d'autres enjeux cruciaux - les inégalités, la migration et la bataille pour les ressources rares. »

Pour permettre une couverture indépendante et qualitative des enjeux climatiques basée sur des faits scientifiques, le quotidien britannique lançait un appel à contribution à ses lecteurs

Un réel succès avec des dons de milliers de lecteurs issus de plus de 100 pays.

L'équipe climat du Guardian est internationale. Elle est constituée de :

Intégrer le taux de CO2 aux prévisions météo 

Depuis avril 2019, The Guardian intègre le taux de CO2 à sa météo.

“Il faut rappeler aux gens que la crise climatique n'est plus un problème d'avenir. Nous devons nous y attaquer maintenant, et chaque jour compte.” a déclaré Katharine Viner, rédactrice en chef du Guardian

Afin de pouvoir comparer, le taux quotidien, mesuré en parties par million (ppm), est fourni avec celui des années précédentes, le taux de référence (correspondant à la période "pré-industrielle") et le taux considéré comme supportable à long terme (estimé par le climatologue de la NASA James Hansen).

Le taux de CO2 était de 280 ppm en 1958. En 2013, il dépassait le seuil des 400 ppm. Et en avril 2019, il était de 412.96, indique le bulletin météo du Guardian.

Adopter un vocabulaire adéquat

Depuis mai 2019, le quotidien britannique a révisé ses choix sémantiques sur le traitement du climat afin de mieux coller à la réalité

“Notre champ lexical sera adapté à la sévérité de la crise climatique dans laquelle nous sommes engagés" souligne Katharine Viner, rédactrice en chef.

Les principaux changement sémantiques sont consignés dans le guide stylistique

  • urgence, crise ou effondrement climatique” vs “changement climatique
  • faune sauvagevsbiodiversité
  • négateur du climat” vs “climato-sceptique
  • populations de poissons” vs “stock de poisson
  • "émission de de gaz vert” plutôt que “émission carbone

A noter que le Guardian s’aligne sur les chercheurs et politiques (et notamment le Secrétaire Général des Nations Unies) qui ont également fait évoluer leur vocabulaire. 

Réviser le choix photographique

Depuis octobre 2019, le service photo du quotidien britannique a modifié radicalement sa façon de mettre en image la crise climatique. L'objectif : sortir de la logique des "charismatic animals" - ours polaire et panda esseulés - pour illustrer de manière plus directe les conséquences de la crise climatique sur les populations. 

Fiona Shields, Responsable photo au Guardian explique comment elle a dû s'adapter à des articles rédigés par les journalistes faisant état d'une situation de plus en plus alarmante de la part des scientifiques. 

“L’enjeu est avant tout humain. Nous avons choisi des images de personnes portant des masques anti-pollution ou ayant perdu leur maison dans des incendies de forêts. Ces photos sont plus dynamiques. Elles témoignent d'effets beaucoup plus immédiats de la crise climatiquedéclare-t-elle au micro de Radio Canada.

Refuser le publicité des compagnies pétrolières 

Le Guardian s’est engagé à refuser toute publicité provenant de compagnies pétrolières et gazières sur leur site internet, leur application et leur édition papier.

“Notre décision est basée sur les années de lobbying de la part de ces entreprises visant à retarder toute mesure significative sur le climat de la part des gouvernements"

 Le quotidien a d’ailleurs lancé la campagne “keep it in the ground” visant à inciter les autres médias à faire de même. Désormais, les publicités du Guardian mettent en avant les activités des compagnies solaires.

Atteindre un taux zéro carbone en 2030

Au delà de la couverture journalistique, le quotidien s'est engagé à réduire de manière significative et durable son empreinte carbone pour atteindre idéalement un taux zéro en 2030. Le quotidien travaille actuellement sur un plan d'action détaillé pour atteindre cet objectif. A commencer par un audit complet du journal sur ce sujet.

Soutenu financièrement par ses lecteurs, The Guardian montre aujourd'hui la voie aux autres médias pour un engagement de qualité et sur la durée. Non seulement le quotidien adopte le ton juste sur l'actualité climatique mais il s'engage à décrypter une crise complexe et au long cours. A voir si cette collaboration journalistique inédite inspirera les médias à s'engager ensemble sur d'autres enjeux cruciaux de l'époque.

Source photo : Edition du Guardian du 15 février 2019 - dessin d'enfant illustrant l'urgence climatique.