VR et normes sanitaires: les expériences immersives doivent se réinventer

Par Annick Jakobowicz, Responsable Recherches narratives, France Télévisions.

Même s’il n’y a jamais eu autant d’utilisateurs VR sur Steam (environ 2 millions selon le site Upload VR), « Les gens ont encore du mal aujourd’hui à investir dans un masque VR chez eux, il faut d'abord qu’ils puissent tester, comprendre et apprécier ce nouveau medium » constate Camille Lopato, co-fondatrice, avec son frère Marc, de Diversion cinéma spécialisé dans l’organisation de cinéma VR.

Avec pour objectif de proposer des expériences à un public plus large, ils ont conçu et fabriqué la station de réalité virtuelle duo, Viktor Romeo, déployable dans n’importe quel lieu. Elle contient deux masques de réalité virtuelle et une tablette offrant la possibilité de naviguer et sélectionner des films 360° dans un catalogue.

Innover pour rebondir face à la crise du Covid-19

Le constat du fort engouement du public se confirme à chaque fois qu'on lui propose de tester des expériences VR sur des lieux d’exposition, lors d’événements ou de festivals (Arles VR, le Muséum d’Histoire Naturelle, le Forum des Images ou encore Venice VR, Sundance, Tribeca).

Cette tendance a été stoppée par la crise sanitaire liée à la Covid-19, contraignant tous les lieux d’exposition et de rencontres avec le public à la fermeture. Comment rebondir suite à cette crise ? Secteur en perpétuelle réinvention, le monde de la VR prouve une fois de plus sa capacité à innover.

Le Centre Phi de Montréal met à disposition un "kit VR to go"

« Puisque la situation actuelle éloigne pour un temps le public des lieux de culture, c’est à la culture d’aller vers le public » C’est par ces mots que l’équipe du Centre Phi de Montréal présente une proposition disponible depuis début mai, PHI VR TO GO. Le principe ? Mettre à la disposition de tous une sélection de films et documentaires en réalité virtuelle en fournissant un casque Oculus Go, facile d’utilisation, loué pendant 48h. 75 casques permettent à un large public de découvrir une dizaine d’œuvres sélectionnées par les équipes du Centre. Ceux-ci sont livrés à domicile en vélo ou voiture électrique.

Source : Centre Phi de Montréal

« Et ça marche du feu de dieu ! » raconte Myriam Achard, responsable de la programmation et des relations publiques du Centre, « L’opération a été annoncée un jeudi matin à 9h, une heure plus tard les réservations étaient complètes pour les 10 jours suivant ! Et c’est toujours le cas 3 semaines plus tard ! ».

Le succès est tel, que cette offre se poursuivra lorsque le Centre Phi pourra ré-ouvrir au public. Myriam envisage de développer ce dispositif dans d’autres villes au Canada, voire d’autres pays.

Camille Lopato et les équipes de Diversion réfléchissent aussi à l’après : quand les lieux de présentation d’expériences immersives pourront de nouveau accueillir du public. Est-ce que les utilisateurs accepteront de mettre un casque ayant servi quelques minutes plus tôt ? Comment s’adapter à cette possible inquiétude quant au respect des normes sanitaires ? Même s’ils ont toujours été très soucieux des problématiques d’hygiène et ont toujours fait le nécessaire pour que chaque personne ait accès à un matériel parfaitement propre, dans ce nouveau contexte, il faudra renforcer les dispositifs sanitaires en utilisant la Clean Box qui permet de désinfecter les casques VR en utilisant des UV.

« Nous allons mettre en scène ce dispositif de désinfection pour rassurer le public. Finalement, ce confinement a été propice à la réinvention. On a eu du temps pour réfléchir à des solutions pour pouvoir démocratiser ces expériences » poursuit-elle.

Les musées renforcent leurs dispositifs VR en ligne

C’est aussi le pari de plus en plus de musées qui proposent - en complément des expositions - des expériences interactives et immersives.

C’est le cas du Muséum national Histoire Naturelle, le premier musée à avoir mis en place une salle permanente, le Cabinet de réalité virtuelle de La Grande Galerie de l’Evolution . Cet espace s’appuie sur la réalité virtuelle comme outil pédagogique de connaissance scientifique.

Source : Museum national d'Histoire Naturelle de Paris

Depuis son ouverture, ce nouveau dispositif de médiation - intégrant un dispositif sanitaire exigeant - ne désemplit pas. Stéphanie Targui, responsable du numérique au Muséum, travaille sur plusieurs nouvelles expériences et espère pouvoir accueillir de nouveau le public d’ici la fin de l’année.

Les festivals mettent en place des plateformes virtuelles

Nombre de festivals ont, eux aussi, dû s’adapter aux circonstances actuelles.

Le Festival de Tribeca - qui se tenait à New York au mois d’avril - proposait gratuitement, en partenariat avec Oculus, une plateforme virtuelle donnant accès à une quinzaine de films VR. Le bilan : 50.000 visiteurs sur ce programme, ouvrant le festival à un public bien plus varié.

Source : Tribeca Film Festival à New York

En France, Laval Virtual - rendez-vous printanier du monde XR depuis 20 ans - proposait à ses visiteurs de se créer un avatar pour se retrouver et assister aux conférences programmées via une plateforme virtuelle.

Autre rendez-vous XR du printemps à Paris, le festival New Images initialement prévu mi-juin, a été reporté fin septembre selon un format physique et en ligne.

Pour Michael Swierczynski, directeur du festival et du développement numérique du Forum des images : « Il était naturel pour nous d’imaginer une offre hybride et, par-là, d’interroger d’une autre manière les frontières entre les mondes physique et numérique. Nous sommes persuadés que l’expérience d’événements en ligne, qui est une nécessité durant cette période de confinement, se poursuivra pour créer à moyen et long terme une nouvelle façon de programmer, complémentaire à ce qui existe déjà. »

Et même si :

  • la question du développement des technologies de la VR dans les années qui viennent reste entière (Benedict Evans )
  • l’équipement des foyers est encore insuffisant pour permettre un modèle économique stable
  • le public n’est pas encore prêt à investir massivement dans du matériel VR pour sa propre consommation,

l'intérêt et l'enthousiasme sont réels dès qu'il y a une offre VR riche et variée.

L’objectif des acteurs de ce secteur est encore et toujours de démocratiser ces nouveaux usages et de les rendre accessibles au plus grand nombre quel que soit le contexteLe secteur est en perpétuelle évolution technologique et en pleine effervescence créative, et bien malin celui qui peut prédire ce que nous réservent les prochaines années dans le domaine des expériences immersives.

Les versions en ligne des festivals et des musées offrent l’opportunité d’ouvrir les expériences XR à un public plus large.

Les plateformes virtuelles - de plus en plus nombreuses (VR Chat, Rec Room) - proposent une nouvelle manière de se rencontrer. Les jeux en ligne multi-joueurs deviennent des plateformes sociales qui permettent d’y organiser de véritables événements (Travis Scott a réuni fin avril plus de 12 millions d’internautes pour un concert sur Fortnite).

Les expériences XR, ludiques et pédagogiques, seront-elles le médium fort du futur grâce à leur puissance évocatrice ?

Une chose est sûre, les professionnels de l'audiovisuel suivent ces évolutions avec attention.

Crédit photo : Stella Jacob, Unsplash