Quels usages faisons nous de nos écrans ?

Par Mathilde Floch, MediaLab de France Télévisions

Utilisés pour le travail comme pour les loisirs, nécessaires pour le maintien de notre sociabilité, les écrans n'ont cessé d'être sollicités durant la crise sanitaire du Covid-19.

Selon le cabinet d’études App Annie, le temps passé sur nos smartphones a progressé en Italie de 39% et en France de 25% en avril 2020.  Le dépenses mobiles à l’échelle mondiale ont également augmenté avec un record de 23,4 milliards de dollars (21,53 milliards d’euros) atteint au premier trimestre 2020 sur les stores Android et iOS. 

Dans son baromètre bimensuel sur les effets de la crise sanitaire sur l'audiovisuel, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) souligne l'intérêt porté par les Français aux écrans (TV et plateforme numérique), un mois après la fin du confinement.

Au delà du constat de l'augmentation du temps passé devant les écrans, il est intéressant d'étudier la façon dont ceux-ci ont été employé.

Une hausse des interactions digitales pour diminuer le sentiment d’exclusion. 

Catherine Dessinges et Orélie Desfriches-Doria, Maîtres de conférences en Information et Communication, à Lyon 3 et Paris 8 expliquent que les enfants de 6 à 12 ans ont passé en moyenne 7 heures par jour devant un écran durant le confinement (soit 3 à 4 fois plus de temps que d’habitude).

Cette augmentation du temps d'écran n'est pas forcément inquiétante dans la mesure où 4 heures par jour étaient consacrées aux devoirs ainsi qu'à des temps récréatifs. Les écrans ont également permis aux enfants de préserver leurs liens sociaux : visio-conférences, rassemblement familial autour d'un  programme télé.

Dr Amy Orben, chercheuse associée à l’Université de Cambridge et au MRC Cognition and Brain Sciences Uni rappelle ainsi que les appels vidéos, les échanges sur les réseaux sociaux et même les parties de jeu sur Fortnite ont aidé les jeunes à sociabiliser durant le confinement. Amy Orben insiste sur l’importance d’un contact avec des pairs lors de l’adolescence.  L’augmentation du temps passé devant les écrans s’il correspond à un usage social n’est donc pas un problème.

« Le temps qu’ils avaient en plus, les Français ont choisi de le passer devant des programmes de télévision » et sur leur smartphone. 

Une étude quantitative de Médiamétrie indique que pendant les six premières semaines du confinement (du 17 mars au 26 avril 2020),

Si la hausse des audiences est globale, il faut souligner la forte progression des audiences des journaux d'information, et les chiffres historiques qui ont accompagné les prises de paroles du président de la République et du Premier ministre. Deux interventions d’Emmanuel Macron ont ainsi rassemblé plus 35 millions de téléspectateurs et 95 % du public.

Les programmes fédérateurs et familiaux ont également particulièrement eu du succès. Dans un contexte anxiogène les téléspectateurs ont souvent cherché du réconfort via les écrans.

L'audience des plateformes de streaming (Netflix, Disney+ lancé en plein confinement...) a elle aussi progressé, mais de façon moins spectaculaire que pour la télévision. La progression de l’audience est d'ailleurs très visible chez les cibles jeunes et CSP +, des publics traditionnellement attirés par les nouvelles formes de consommation audiovisuelle. Pour Julien Rosanvallon, directeur général adjoint de Médiamétrie, ces chiffres d’audience historiques révèlent la persistance du lien entre le public français et la télévision. Notons que le replay a autant progressé que la consommation linéaire de la TV : en 2020 plus de 30 programmes ont passé le cap du million de téléspectateurs ( vs une vingtaine en 2019).

L'usage du smartphone s'est lui aussi accentué durant le confinement. Selon une étude Ifop :  62% des Français ont consulté leur téléphone portable encore plus souvent qu'avant, notamment les femmes (+40%) et les 15-34 ans (+45%). L’IFOP indique qu'en France parmi les usages mobile les plus courants figurent les appli de messagerie (59 %), la navigation Internet (56 %) et la consultation et la rédaction de courriels (28 %). Chez les jeunes l’utilisation des réseaux sociaux prédomine. L’application TikTok est la grande gagnante du trimestre, suivie des appli WhatsApp, Facebook, Instagram & Messenger. 

Entre besoin de socialisation et nouveaux usages liés au télétravail, les populations confinées ont consacré beaucoup de temps aux réseaux sociaux. 

En mai 2020 en France, sur les 72 % des salariés déclarant travailler, plus de la moitié (57%) d’entre eux étaient en télétravail (France Inter, 25 juin 2020). Une étude sur le télétravail et l'absentéisme menée par Malakoff Humanis a souligné une augmentation de la part des salariés souhaitant prolonger leur télétravail soit 84% des salariés. 

La réalisation des tâches professionnelles à distance et la nécessité pour les équipes de maintenir le contact ont fait émerger de nouveaux usages sur les réseaux sociaux :

  •  Création de groupes WhatsApp pour s’informer entre collègues
  • utilisation des plate-formes Teams, Slack ou Zoom pour pouvoir se réunir à plusieurs par écrans interposés

(pour plus d'infos sur le sujet : Les 10 applis à avoir sur son smartphone pour gérer télétravail & confinement)

Mais les effets de la consommation d’écrans se ressentent dans la productivité. Un sondage américain OnePoll, sur le comportement des Américains vis-à-vis des écrans durant la crise du Covid-19 indique que moins de la moitié des 2000 citoyens américains interrogés estiment vraiment rentabiliser leur temps devant un écran. Selon le sondage, durant les heures de travail, 50% des Américains se perdent sur Facebook, 42% regardent des vidéos sur YouTube et 40% scrollent inlassablement leur fil Twitter.

En parallèle, une étude menée par Smartsheet révèle que 81% de la génération Z et des millennials ayant travaillé à distance durant  la pandémie ont ressenti un manque de connexion avec leurs collègues, et 71% ont souffert du manque d’information sur leur environnement professionnel. L'utilisation des écrans dans le cadre du télétravail reste donc à améliorer 

Réseaux sociaux et activisme politique : quelle mutation des usages ?

Selon le cabinet de conseil Kantar, le trafic Internet mondial a augmenté de 70 % et la fréquentation des réseaux sociaux de plus de 61 % durant la crise sanitaire (WhatsApp a vu ses connexions augmenter jusqu’à 76 % en Espagne).

Égalitarisme et horizontalité sont souvent présentés comme les deux piliers du nouvel espace politique digital permis par le développement des outils numériques.

Les images des mouvements #BlackLivesMatter et #JusticePourAdama ont été fortement relayées sur les réseaux sociaux. Les manifestants s'organisent et se coordonnent en ligne, et la puissance des plateformes sociales en terme de structuration des mouvements sociaux est souvent relevée.

L’activisme politique sur TikTok semble également avoir joué un rôle dans le phénomène des fausses inscriptions au meeting de Trump a Tulsa, Okla. L'ADN de la plateforme renouvelle le militantisme digital et les discours sociétaux font irruption dans les conversations adolescentes.


Mais pour la politologue Jen Schradie spécialiste des usages politiques des réseaux sociaux, Internet est une révolution...conservatrice. Dans The revolution that wasn’t. How Digital Activism Favors Conservatives, elle indique que depuis l’élection de Donald Trump la technologie est souvent utilisée pour saper le débat politique. 

« L’espace numérique renforce les inégalités de classes sociales, accentue l’efficacité des groupes organisés de manière hiérarchique et favorise les idées conservatrices » — Jen Schradie

L’activisme digital n'aurait pas le caractère spontané qu’on lui prête. Selon Jean Schradie un mouvement social et digital doit s'entourer pour faire fonctionner une équipe de personnes salariées et spécialisées dans la gestion et l’animation des outils numériques (suivi des algorithmes, optimisation de la visibilité). Or les organisations politiques larges disposent de plus en plus de moyens que les structures horizontales et bénévoles, qui sont parfois moins efficaces pour transformer l’engagement en ligne en actions concrètes.

Et maintenant ? 

Concernant le temps passé devant les écrans, le CSA déclare début juin que la durée d'écoute individuelle des programmes d'information en France atteint "un niveau supérieur à celui de début mars".  Cette persistance des audiences est surtout le fait des plus de 50 ans (+ 18 %) que des moins de 25 ans (+ 7 %). Les jeunes passent 2h57 chaque jour sur les services de streaming  (une étude faite du 8 au 21 juin chez les 15-24 ans) contre 2h05 trois mois plus tôt. 

Reste à voir quelle sera l’évolution des usages en terme de cinéma lors de la réouverture des salles. Richard Patry, président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) souhaite reconquérir le public occasionnel et familial. 

Credit photo : Markus Winkler - Unsplash