[Étude] Le changement climatique vu par les médias

Par Diana Liu, MediaLab de France Télévisions

Dans l’étude « Comment les médias traitent-ils du changement climatique », parue en juillet 2020, l’association Reporters d’Espoirs constate que la prise de conscience des enjeux environnementaux et climatiques des Français s’accompagne d’une médiatisation qui est certes croissante, mais pas encore à la hauteur des enjeux.

En 2019, l’environnement était devenu la première source d'inquiétude des Français. Même en pleine pandémie, le changement climatique est resté en tête des sujets les plus préoccupants. Cependant, une majorité des Français estiment que le sujet est « mal traité » par les médias, qui n’auraient pas suffisamment parlé de certains événements, comme les feux de forêt en Amazonie. Ils sont également à la recherche d'actions concrètes : 75% des Français considèrent qu’il reste beaucoup de solutions à mettre en œuvre.

Source : Kantar et La Croix

L’étude propose un état des lieux de la place de l’environnement et du climat à la télévision, à la radio et dans la presse écrite à partir d’un échantillon de médias français généralistes sur des périodes significatives entre 2010 - 2019. À retenir : la progression importante de la thématique environnementale, le besoin de davantage de contextualisation climatique des sujets environnementaux et l’importance, au-delà du constat des problèmes, d’exposer des solutions concrètes.

La thématique environnementale progresse dans tous les médias, avec une implication particulièrement forte de la presse quotidienne nationale

Au cours des dix dernières années, nous avons assisté à une croissance importante de la couverture médiatique du climat dans les segments d’information les plus visibles des grands médias généralistes. Sur les journaux télévisés du soir de TF1 et France 2, la part dédiée à l’environnement a presque été multipliée par trois (de 5 % à 17,3 % pour TF1, et de 5 % à 12,4 % pour France 2). La presse écrite nationale a également connu une évolution importante, de 0,57 % d’articles évoquant le terme « climatique » en 2010 à 3,80 % en 2019.

Source : Reporters d'Espoirs

La COP21 à Paris en 2015 s’est avérée un tournant dans le traitement du climat, avec un bond exceptionnel dans la presse écrite nationale (de 0,47 % en 2014 à 1,29 % en 2015), qui après 2015 a continué à miser sur le sujet. En 2019, 5 % de la production éditoriale du Monde évoquent le climat. Aujourd’hui, c'est la presse quotidienne nationale qui est le média d’information le plus impliqué sur le climat.

Source : Reporters d'Espoirs

Au sein des chaînes d'information en continu, 2 % des sujets sur la tranche d’actualités du jour sur France Info font référence au climat, et 13,2 % font référence à l’environnement. Quant à BFMTV, 1,9 % des sujets sur la tranche 20h-21h animée par Alain Marschall font référence au climat, et 20,4 % des sujets font référence à l’environnement.

Quant à la radio, elle a encore du chemin à faire. On aperçoit une part faible ou presque inexistante du climat dans la tranche info : 1,3 % des sujets du journal de 8h de France Inter évoquent le changement climatique, contre 0,9 % pour le journal du 8h de RTL et 0 % pour le journal de 8h de RMC. Le climat semble être cantonné aux interviews et aux chroniques spécialisés — en effet, le sujet est davantage abordé dans les chroniques du matin.

Source : Reporters d'Espoirs

La contextualisation climatique des sujets environnementaux doit être améliorée

Malgré la progression de la couverture climatique dans les médias, l’étude constate que les sujets environnementaux peuvent être mieux intégrés dans le contexte du changement climatique par l'ensemble des médias examinés. En moyenne, moins de 1 % des sujets évoque le climat (ce chiffre monte à 2 % sur les chaînes d’info et à près de 5 % pour certains quotidiens nationaux). Le changement climatique est pourtant la préoccupation la plus importante pour les Français sur le long terme.

Source : Reporters d'Espoirs

Par exemple, dans le 20h de TF1, sur 73 sujets consacrés à l’environnement, 50 % des sujets comme la sécheresse en France, les feux en Australie ou les inondations à Venise auraient pu être expliqués dans le contexte plus large du climat. Un reportage sur l’annulation du mégaprojet Europacity abordé sur France 2 serait un exemple d’une « occasion manquée pour parler du climat », selon les auteurs de l'étude :

« Le sujet titre sur les « mégaprojets » sans les définir ni expliquer en quoi ils posent question [est problématique]. Il aurait pu être utile de rappeler leur définition, à savoir : « des projets qui transforment le paysage de façon rapide, intentionnelle et profonde sous des formes très visibles » et ce qu’induit en particulier Europacity sur les facteurs de changement climatique : perte de biodiversité et zones humides, artificialisation des terres […] »

Exposer des initiatives concrètes : vers un traitement plus « constructif » du climat

Bien au-delà du constat du problème, l’étude met aussi en exergue l’importance d’aborder les enjeux climatiques et environnementaux sous l’angle d’un journalisme de solutions. Un traitement plus constructif du climat peut responsabiliser les parties concernées et donner plus de visibilité à de nombreuses initiatives et innovations. De plus, il sert d’antidote contre la crainte ou le fatalisme que l’ampleur des changements climatiques pourrait susciter.

Les journaux télévisés et la presse quotidienne régionale sont des leaders dans ce journalisme de solutions autour du climat. 1 sujet sur 4 est « constructif » sur TF1 et 1 sujet sur 5 sur France 2 (les autres n’évoquent pas d’issue, ou bien uniquement une fatalité). L’étude remarque cependant que les sujets constructifs de ces JTs se concentrent essentiellement sur les initiatives écologiques individuelles et autonomes ; se pose alors la question de l’élargissement des types de solutions abordées.

Dans la presse quotidienne régionale, 27 % des sujets sur le climat adoptent un angle « constructif » (cela inclut des éléments de prospective, des déclarations d’intention, des initiatives et des décisions concrètes) versus 17 % dans la presse quotidienne nationale. La PQN est pourtant le média le plus impliqué dans la couverture climatique.

 

Bonnes pratiques pour traiter des questions climatiques

 

1S’informer avec les bonnes sources

 

Pour couvrir un sujet qui demande des compétences multiples, les journalistes peuvent s'appuyer sur les publications généralistes (le livre Tout peut changer de Naomi Klein, des newsletters sur l’actualité climatique comme Carbon Brief ou Climate Nexus) ainsi que sur la littérature scientifique (des rapports du GIEC, Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). Ils peuvent également suivre des MOOCs (cours en ligne) et discuter avec des chercheurs du climat, comme ceux du CNRS.

2Présenter le sujet de manière objective, scientifique et transversale

Selon Isabelle Autissier, présidente du WWF France, « dire la vérité, c’est s’appuyer sur la science ». Au lieu des discours catastrophiques ou angéliques, il faut expliquer clairement la situation et la trajectoire sur laquelle nous sommes en matière de changement climatique.

Magali Payen, fondatrice de l’initiative « On Est Prêt », évoque l’importance de contextualiser le climat en le reliant à d’autres sujets, que ce soit l’environnement, la technologie, l'économie ou la justice sociale. « Je conseille aux journalistes de remettre ce sujet dans sa complexité, qui est beaucoup lié au système économique dans lequel on vit ».

3Apporter des solutions

Pour 81 % des Français, la médiatisation des sujets environnementaux et climatiques induit une prise de conscience du sujet ainsi qu’une modification des comportements — d’où l’importance d’exposer davantage de solutions à la crise.

Pour éviter que le public ne tombe dans la résignation face aux informations anxiogènes, les experts mettent en exergue l’importance d’apporter toute de suite des solutions — par exemple, en donnant la parole à ceux dont le travail permet d’atténuer l'impact du dérèglement climatique. Dans un domaine qui engage la responsabilité des acteurs de toute la société, et qui fourmille de nouvelles idées, initiatives et innovations, les médias, en mettant en lumière des solutions, y contribuent eux-mêmes.

Illustration : Markus Spiske sur Unsplash