Tendances et prédictions 2021 pour les médias : de la résilience à une mutation positive des médias

Par Lisa Rodrigues, MediaLab de l'Information, France Télévisions

Le maître-mot pour survivre à ces derniers mois, c’est la résilience. Les médias n’ont pas dérogé à cette règle. Le rapport des tendances et prédictions pour 2021 du Reuters Institute et de l'Université d'Oxford fait bien appel, sans jamais la nommer, à cette attitude indispensable en temps de pandémie. L’accélération de la digitalisation des contenus, un rapprochement avec le public ou encore un recours plus important aux nouvelles technologies ont également été observés en 2020.  

Pour autant, 2021 pourrait marquer un changement de cap pour le journalisme. Bien plus que la résilience, il est aujourd'hui temps d’enclencher une véritable mutation positive des médias. D’une certaine manière, le rapport présente le coronavirus comme un coup de fouet salutaire et nécessaire à la profession pour passer à la vitesse supérieure. 

1Les enseignements tirés de la pandémie

Communication et interaction

Les derniers mois ont vu les rédactions vidées de leurs occupants. Les journalistes travaillent désormais chez eux et couvrent comme ils le peuvent l’actualité. Tous se sont réorganisés et ont repensé la manière de rapporter l’information. La communication entre les équipes est devenue primordiale, et la protection sanitaire un enjeu prioritaire. Il faut aussi, et surtout, rassurer le public croulant sous un flot d’information – et de désinformation – dans cette situation inédite et terrifiante. Les initiatives pour recueillir leurs interrogations et leur répondre ont fleuri, en particulier via les réseaux sociaux à coup de #hashtags et autres bots.  

Digitalisation, abonnements numériques et diversification

La digitalisation des contenus a été logiquement accélérée et la question de leur accès a rapidement été mise sur la table. Les offres d’abonnements numériques se sont multipliées et les souscriptions ont suivi. Reste à voir si ces abonnés ne sont pas seulement les produits d’un « effet coronavirus ». Si la plupart des grands éditeurs de presse avait déjà entamé cette transformation, les plus petites structures ont eu davantage de difficultés. Pour autant, selon le rapport, 51% des sondés – tous travaillant dans le monde des médias – estiment que les revenus des abonnements payants bénéficieront à une large partie des éditeurs, indépendamment de leur taille. Et ce, même si le Digital News Report 2020 souligne la mainmise des grands groupes sur les bénéficies d’entre un tiers et la moitié des abonnements numériques aux Etats-Unis. 

Pour maintenir leur santé financière, les rédactions devront également continuer à diversifier leur modèle économique. Certains médias, à l’image de The Independent, le font déjà depuis quelques années en proposant des évènements live – ayant rencontré un beau succès durant la pandémie – ou en développant leur offre de e-commerce. Plus surprenant, nous pourrions même trouver très bientôt à la vente des produits dérivés estampillés de notre média lifestyle préféré. 

Les biais de la régulation

Impossible non plus de ne pas parler du rôle régulateur de l’Etat. En temps de pandémie, contrôler le flux d’information et mettre en avant les faits vérifiés a pu relever de la gageure. Les gouvernements ont voulu relever le défi, faisant parfois grincer des dents. En France, l’exécutif a lancé en mai 2020 son site anti-fake news regroupant les informations vérifiées sur le coronavirus. Seulement voilà, on y retrouvait les articles de cinq médias uniquement ... Encore plus inquiétant, les mesures législatives pouvant mener à des penchants autoritaires et de restriction de la liberté de la presse, à l’image de la Hongrie où la loi sur la désinformation est utilisée pour faire taire les opposants.

2Un nouveau modèle de journalisme à développer

Tirer des leçons, c’est bien, mais ils s'agit désormais de les utiliser pour avancer. Le Reuters Institute et Oxford entament ainsi une réflexion sur un nouveau modèle de journalisme pour 2021. Et cela commence par le débat autour de l’impartialité et de la neutralité des journalistes. Les avis à ce propos sont mitigés. 88% des sondés affirment que l’impartialité compte, mais ces mêmes personnes reconnaissent également qu’il est quasi impossible moralement d’être neutre sur des sujets comme le racisme ou la démocratie. Des rédactions ont pris les choses en main en développant leur « code de bonne conduite » pour guider les journalistes et imposer des limites. Les réseaux sociaux sont aussi intégrés dans les réflexions des médias à ce propos, à l’image de la BBC souhaitant sensibiliser sa rédaction aux publications sur les plateformes.

Lutter contre la désinformation

La lutte contre la désinformation doit avoir une place prépondérante en 2021. Etre journaliste, c’est désormais écouter, revenir aux faits, faire appel à des spécialistes reconnus et répondre de manière pédagogique et scientifique aux sujets du moment. Cela permettra de (re)gagner la confiance du public, déjà écornée avant la pandémie par les fake news et une méfiance face aux médias comme l’ennemi de la société. Dans cette lutte contre la désinformation, près de 212 millions de dollars ont été versés cette année par Google et Facebook à environ 7 000 rédactions locales américaines selon une étude du Tow Center. Même si les GAFAM restent le médium de diffusion par excellence des fake-news, ils jouent eux-aussi un rôle primordial sur ce dossier.

Un journalisme plus incarné, basé sur les faits, l'explication et la spécialisation

Le nouveau modèle de journalisme doit enfin trouver des formats plus incarnés, plus proches du public. C’est probablement l’une des raisons ayant propulsé les newsletters sur le devant de la scène cette année. Ce n’est pas un format nouveau, certes, mais il attire désormais de grands noms y voyant la possibilité de s’exprimer un peu plus librement qu’au sein de leurs rédactions. Les médias lancent eux-aussi progressivement leurs propres newsletters, voire parrainent celles déjà existantes. Et avec la possibilité de souscrire à un abonnement payant pour recevoir le matin dans sa boîte mail les réflexions d’un « columnist » respecté, les motivations pour se lancer ne manquent pas.

Les podcasts ont aussi le vent en poupe. Des entreprises – Amazon, Spotify, Apple ou Google pour ne citer qu’eux – se sont lancées dans une guerre commerciale pour acquérir les droits de certains programmes. Encore faut-il se démarquer. Le New York Times parie sur des formats longs, Spotify sur des stars à la tête de leurs propres émissions. Quant à Apple, il pense à lancer son service payant quand d’autres réfléchissent à ajouter de la vidéo pour attirer de nouveaux auditeurs.

Un journalisme de co-construction

Les rédactions ont utilisé la crise du Covid-19 pour tester de nouvelles technologies et techniques de collecte de l'information. Ces techniques consistent notamment à "faire progresser les efforts visant à collecter du contenu auprès du public et à explorer les enquêtes axées sur le public". Des approches similaires ont été expérimentées au Royaume-Uni par le service de reportage de la BBC sur la démocratie locale et par Facebook qui finance des reporters communautaires pour couvrir les zones sous-représentées.

L'innovation issue de la collaboration

La création d'une culture plus innovante reste une préoccupation essentielle pour de nombreux leaders du numérique. Mais il s'avère que les meilleures idées ne viennent pas toujours du haut. Selon l'enquête, la connaissance du public et des données (74 %), les équipes pluridisciplinaires (68 %) et l'apprentissage auprès d'autres rédactions (48 %) sont considérés comme les meilleurs moyens de générer de nouvelles idées, contre seulement 26 % venant du top leadership.

Le rythme de l'innovation restera soutenu cette année, car les entreprises de médias accélèrent leurs projets numériques. Mais avec peu d'argent disponible pour de nouveaux investissements importants, les entreprises vont probablement se concentrer sur l'amélioration des produits et marques existants (70 %) plutôt que de développer des "Moonshots" ou de créer des produits entièrement nouveaux (28 %). Le focus sera sur l'experience utilisateur et une innovation durable, capable de s'adapter à un environnement changeant.

3Et les nouvelles technologies dans tout cela ?

Comment ne pas parler des nouvelles technologies pour renouveler une profession qui en est de plus en dépendante ? L’intelligence artificielle a déjà trouvé plusieurs applications. Elle est capable de choisir les articles à mettre en une, de créer des outils de fact-checking ou de répondre aux questions des lecteurs via les chatbots. Pour autant, des biais existent et les externalités positives de ces technologies ne profitent pas à tous. Pour 65% des sondés, elles vont même profiter davantage aux grands éditeurs – soit ceux ayant le plus de moyens pour investir dans l’IA. Côté public, l’arrivée massive de la 5G et des appareils compatibles va permettre aux médias de proposer des contenus plus riches. Les accessoires et technologies VR en particulier vont devenir plus courants et offrir de nouvelles possibilités d’innovation aux journalistes. 

Transparence autour des données

Par contre, qui dit digitalisation dit protection des données. Pour les médias, la question est d’autant plus importante que ces données leur permettent, notamment, de mesurer comprendre leur audience. Problème, ils doivent obtenir ces données auprès des plateformes, plutôt réticentes à partager ces informations précieuses. Un des enjeux de 2021 sera donc de pousser à plus de transparence et de coopération de la part des entreprises de la tech et des réseaux sociaux. Une autre solution avancée dans le rapport est « l’indépendance » numérique des rédactions. Le Washington Post ou l’Ozone Project au Royaume-Uni, notamment, essayent d’améliorer leurs performances digitales ou de créer leurs propres plateformes, mais cela reste encore une initiative peu répandue.  

Rémunération pour les contenus

Un autre problème se pose. La visibilité des rédactions dépend largement de leur positionnement dans les résultats de recherche sur les moteurs de recherche. Or, les plateformes ne rémunèrent pas correctement – voire pas du tout – les médias pour leurs contenus mis en avant. Pour remédier à cela, il faut négocier. Dans la pratique, les plus importants éditeurs obtiennent la part du lion et sont les plus à même de faire entendre leurs voix. Faute de régulation globale, des accords sont trouvés au cas par cas, comme entre Google et la presse française. Dans un futur idéal, un front uni des médias sur ce sujet serait appréciable. 

En définitive, le journalisme a su – sans surprise – être résilient pendant la pandémie, mais il faut maintenant penser à être davantage dans l’action plutôt que dans l’adaptation. Une réelle mutation des médias doit s’opérer. Et, selon le Reuters Institute et l'Université d'Oxford, cette mutation pourrait bien avoir lieu en 2021, dans un monde où le physique et le virtuel coexisteront de manière nouvelle. 

2021 sera certainement l'année où de nouveaux modèles hybrides seront testés et où les médias essaieront de trouver le juste équilibre entre efficacité et créativité. Mais les salles de rédaction devront également innover dans les nouveaux formats numériques si elles veulent réussir à attirer le public. Cette année, les salles de rédaction  investiront davantage dans les contenus audio et vidéo en ligne, dans le journalisme de données, ainsi que dans les "histoires" visuelles "snackables" adaptées aux différentes plateformes.