Lorsque l’Internet social mine le processus de travail journalistique

Par Jukka Niva*, Directeur du News Lab, YLE, l'audiovisuel public finlandais 

Les salles de rédaction ont pour tâche de servir de chiens de garde face au pouvoir. Les plateformes des réseaux sociaux ont un impact toujours croissant sur ce que les gens pensent à propos des questions politiques et de leur environnement. Les flux personnalisés des médias sociaux exercent donc bien un pouvoir sur la société.

Comment le chien de garde face au pouvoir peut-il scanner le pouvoir social alors que ce pouvoir est transféré dans des algorithmes commandés ?  

Il y a quelques années, face aux manifestations des gilets jaunes en Europe, un rédacteur en chef de l’UER m’a suggéré une pensée intéressante : Qui faudrait-il interviewer et de à devrait-on demander des réponses si des voitures ont été incendiées dans le centre d’une grande ville, lorsqu’une manifestation a été organisée par un groupe actif sur les réseaux sociaux ? Qui est la personne responsable d’un mouvement qui s’exerce via les réseaux, que les journalistes doivent interviewer ?

Dans le monde d'avant, il y avait toujours eu un chef, un responsable, un président ou un autre référent dans les grèves et les manifestations. Les journalistes qui interviewent cette personne lui posent des questions. Dans le monde des réseaux sociaux, les mouvements populaires naissent à vitesse accrue. Citons par exemple les mouvements nés dans les bulles de filtres qui ont débouché sur #BlackLivesMatter ou encore la prise d’assaut du Capitole de Washington (que Donald Trump n'a pas pu monter à lui seul). Les mouvements des réseaux sociaux ne naissent pas à partir de zéro, mais un mouvement existant peut être renforcé comme on l’a appris à travers le scandale Cambridge Analytica lors des élections américaines en 2016.

Les algorithmes  de Facebook, YouTube et Tik Tok relèvent du secret professionnel. Ils décident cependant ce que chacun de nous voit en ligne. Et ils influent sur notre manière de penser. En exagérant, on pourrait dire que le pouvoir d’influence social est devenu un secret professionnel. Avec le ciblage sur les réseaux sociaux, on peut vendre à la fois des baskets et des pensées sociétales.

Nous, les reporters, nous devrions disposer de nouveaux outils de travail pour suivre ce qui se passe sur les différentes plateformes.

En tant que journalistes, nous sommes plus que jamais nécessaires dans un monde confus et chaotique. Cependant, dans le même temps, nous avons besoin de nouveaux moyens et d'un nouvel état d'esprit pour notre réflexion. Si nous sommes des chiens de garde face au pouvoir, nous devons savoir où se trouve le pouvoir et ensuite, nous devons être capables de faire toute la lumière sur ce pouvoir.

C’est ainsi que nous procédons depuis le 19e siècle.

 

*Jukka Niva est le directeur de USomen Yleisradio Yle News Lab. Il a travaillé en 2018 au Think Tank à Washington DC Woodrow Wilson Center pour étudier le pouvoir des plateformes des réseaux sociaux. Selon lui, le journalisme figure encore parmi les professions les plus passionnantes au monde.