Métavers – Internet liquide, média organique, ou comment prendre des décisions dans la compléxité du métavers

Par Frédéric Josué, Président de 18M

Au début, était le Livre.
"On pense à partir de ce qu’on écrit…” disait Aragon. On peut dire qu’en la matière tout l’était. Jules Vernes, Georges Orwell, Ray Bradbury, Aldous Huxley, Philip K.Dick, Frank Herbert, Umberto Eco, Isaac Asimov, Douglas Coupland, Louis Barjavel, Suzanne Collins ou encore Margaret Atwood… tous ont décrit l’enchaînement qui nous mène, à défaut de régulation et d’éthique, à un monde post moderne. Sur le strict sujet des métavers, relire Snow Crash.

1Un enchaînement convergent et réfléchi de la part des géants de la tech

Dès 1994 et la création d’Amazon, les géants de la tech comprennent une chose essentielle : le monde entre dans la 4ème révolution industrielle, une économie basée sur la donnée ou, au sens élargi, l’information. Tous les géants de la tech emboîtent le pas, en Chine et aux États-Unis. Et dès cet instant, on se sent plonger dans le cyberespace, tel Jobe Smith du film Le Cobaye.

Autour de 2000, les géants de la techsont à l’origine de la création des media digitaux. Ceux-ci se fluidifient autour de 2005 avec l’arrivée des premiers réseaux sociaux. Internet devient en quelque sorte liquide. Il va devenir ubiquitaire avec l’arrivée en 2007 du smartphone et la capacité à interagir progressivement avec l’information, en tout lieu et temps. C’est le moment décrit dans Wired par Michael Wolff de la métamorphose totale du "web" vers "internet" : "The Web is dead, long live the internet!" (2010).

2010, les débits augmentent avec la Fiber To The Home et la 4G, la masse d’information suit cette progression, notamment avec l’arrivée des plateformes de streaming, comme celles de e-commerce et d’un ensemble de services dit de sharing economy. C’est à ce moment que la capacité à traiter la donnée fait un pas de géant, notamment avec Amazon et sa filiale AWS-Amazon Web Services, créée en 2006, au départ strictement dédiée au service de database et de stockage de données, et qui  évolue pour devenir aujourd’hui un géant de l’intelligence artificielle (IA).

Étape suivante, les géants de la techutilisent leur maîtrise technologique pour investir la ville. Leur insight est le suivant : 30% des revenus des citoyens sont dédiés à la ville, en échange de services sous efficients. L’internet liquide, puis ubiquitaire, devient pervasif, du latin pervadere pour s'insinuer, se propager, s'étendre, envahir. On a maintenant un grand ensemble, continu et intégré, qui va des media digitaux à la ville connectée, et qui, à son tour, produit de la donnée. Cet ensemble s’unifie peu à peu grâce au cloud, mais surtout à la 5G, dont la vocation est de connecter un Internet des Objets (IoT) disséminé dans les villes. Cet ensemble physique digital est enfin optimisé grâce à l’IA qui simplifie, anticipe, automatise, optimise dans le temps, la masse des interactions service / consommateur. Les géants de la tech envahissent donc la ville et vont l’optimiser en prenant un cut, comprendre des sous.

Manque un dernier élément pour unifier ce monde continu : le moyen de paiement. Apple grâce à la fintech texane GreenDot maîtrise le paiement mobile, exit le cash et la carte bleue. Alibaba rend ce paiement ubiquitaire et inclusif grâce à sa fintech Alipay, exit le cash à nouveau mais cette fois également les banques. Fortnite, jeu free to play de Riot Games, filiale de Tencent Holdings, va plus loin et propose sa propre monnaie électronique, exit la monnaie fiduciaire et… les banques centrales. Enfin, Axie Infinity, jeu vidéo en ligne développé par le studio vietnamien Sky Mavis, propose des transactions en Non Fungible Tokens (NFT) et Facebook rêve de Libra, outil transactionnel, crypto-monnaie de la nouvelle Meta.

Le métavers était là, bien avant que, début septembre 2021, le public ne découvre son nom.

2Impact sur les médias de cette convergence pervasive, la théorie

La personne qui a le mieux compris la convergence des media vers ce monde continu et persistant est Agnès Yun, chercheuse que je découvre à Séoul. En 2013, elle publie sa théorie Organic Media. Elle évoque la disparition du container media, résultante de la digitalisation des médias. L’écran, le journal papier, le poste radio, tous ces contenants disparaissent en raison de la fluidification des contenus, devenus digitaux. Ces derniers se disséminent tels un liquide dans les réseaux numériques. Prenons une image, car cette notion de fluidité est fondamentale, les contenus deviennent de l’énergie ; et aussi réducteur que cela puisse paraître, ils deviennent des bits, soit des 0 et des 1 qui circulent maintenant à une vitesse extraordinaire.

Justement, Agnès Yun ajoute un moteur à cette dissémination, les interactions humaines qui font circuler de façon organique les objets numériques, biens de consommation, produits culturels ou informations d’un réseau l’autre, d’un individu à l'autre. Notion clef, ce sont les individus qui créent cette circulation organique, voire électrique et non plus les émetteurs traditionnels eux-mêmes : je découvre la dernière paire de chaussures Jordan grâce au forward d’une publicité Instagram. Dans ce cas précis, ce rôle de “contact” incombait précédemment à la marque Nike.

Pour les émetteurs, les messages et communications doivent alors être appréhendés de manière agile. S’ils sont transmis aux réseaux, le jeu des interactions sociales nous dit la chercheuse, sous la forme de commentaires, likes, emoji, repost, retweet et autres transformations, fait que ces messages deviennent une matière vivante. Ils doivent être pensés comme tel et avoir, en leur sein, une inégalable capacité d’adaptation.

Ainsi, si le container physique disparaît, le remplace la notion de contexte. Les contenus, produits et services numériques, dans ce monde persistant, apparaissent sans crier garde et ce quel que soit le contexte : alors que l’on se couche, entre amis à la plage, au bureau, en voiture, à la salle de sport, etc... Pour s’adapter à cette réalité, il faut être fluide rappelons-le, c’est-à-dire faire corps avec le contexte, ne pas être dissonant, ne pas perturber celui-ci.

Le monde continu décrit ci-dessus a quelques particularités. Il est capillaire (il s’immisce partout) et complexe (il est immensément riche, notamment en termes d’expériences). On utilise souvent la métaphore des réseaux neuronaux pour le décrire, c’est l’image qu’avait Agnès Yun lorsqu’elle le décrivait. L’ensemble de ses éléments physiques et digitaux sont ainsi connectés et peuvent interagir entre eux. C’est ce que l’on peut appeler un écosystème, mot qui revient souvent pour décrire cette réalité. Soit un ensemble fait d’éléments dépendants et interdépendants les uns les autres.

Le magasin Starbucks interagit avec la banque Crédit Mutuel, qui interagit avec la salle de cinéma, qui interagit avec la salle de sport, qui interagit avec la voiture autonome et l’ensemble de l’IoT d’une ville. L’idée est donc de connecter ce grand ensemble par les stratégies média de façon à créer des liens d’interdépendance au service des consommateurs.

3Impact sur les stratégies media et marketing, le concret

Ces différents éléments ont un impact sur les stratégies média et business des mondes de la communication et du marketing. Ces dernières se sont toujours pensées en deux dimensions (analogique/physique voire émetteur/récepteur => sans voi-e-x de retour), de façon linéaire (A mène à B qui mène à J : la radio crée du trafic en magasin physique, charge au vendeur de prendre le relais) et enfin séquentielle (A ensuite B puis C : on fait une campagne d’affichage, puis une campagne TV et enfin internet).

Ces stratégies peuvent maintenant être pensées de façons numériques vs analogiques, complexes vs linéaires et instantanées vs séquentielle, mais surtout elles peuvent maintenant être imaginées et produites à différentes échelles.

Les stratégies deviennent numériques : au cœur de cette notion numérique est la donnée et principalement la donnée externe, non structurée, nouveau champ d’analyse pour lequel les outils sont en constant développement. Il peut ainsi être moins opportun d’analyser le trafic sur son propre site internet/mobile (données internes), que de connaître l’ensemble des interactions des individus dans la ville et également d’analyser leurs conversations sur les réseaux sociaux (données externes).

Ces deux types de données ne s’opposent pas. Les secondes sont juste d’une inestimable richesse en matière d’analyse du comportement. On peut, de cette façon, mieux appréhender la complexité de la nature humaine, c'est-à-dire les goûts, les préférences, les habitudes quel que soit le domaine (sport, nutrition, éducation, travail…) ou la sphère (privée, professionnelle). On peut surtout identifier les pain points, soit les points de friction ou difficultés que rencontrent les individus dans leur quotidien connecté. Ces pain points deviennent pour les marques une opportunité d’amélioration d’un service, voire une potentielle source de nouveaux business.

Un exemple fascinant de cette approche par la donnée est l’utilisation que fait WeChat, filiale de Tencent Holding, des mini programs. Ce sont de petites applications téléchargeables qui s'exécutent dans une autre application plus grande -ici WeChat. Ces mini programs représentent, dans ce cas de figure, un agrégat d’applications qui proposent une multitude de services, associés à la ville. Vous pouvez ainsi, sans sortir de l’application WeChat, prendre un vélo (Mobike), prendre un taxi (Didi), prendre rendez-vous chez le médecin (Guahao équivalent de Doctolib), faire vos courses en ligne (JD.com), jouer à Fortnite (Riot Games, filiale de Tencent Holdings), payer vos factures d’électricité, reconnaître une plante à la campagne, réserver puis payer un restaurant… etc etc.

A chaque fois que vous utilisez un mini program sur WeChat, une donnée est collectée qui aide à vous qualifier, vous ou les gens comme vous, mais surtout qui aide à identifier des problèmes que vous auriez pu rencontrer et que cette société se chargera de régler, en prenant un cut. La grande masse des mini program est la résultante de solutions apportées ou de besoins identifiés par Tencent Holdings grâce à la donnée hétérogène collectée dans la ville, ce métavers. Aucun développement business aujourd’hui ne peut, à priori, se faire sans la donnée.

Si les puissances de calcul commencent à s’essouffler dans l’analyse de la donnée externe, demain nous permettra sans aucun doute de repousser encore plus la compréhension de la nature humaine. Ainsi, en matière de santé, les données médicales, soit les données internes au patient, notamment des données de diagnostic, ne concourent qu’à 10% des résultats du traitement de ceux-ci. De leur côté, les données environnementales, c’est-à-dire tout le reste, ce que vous avez mangé il y a 15 ans, où vous avez habité étant enfant, ce que vous avez croisé dans votre vie, à tel instant ou tel autre moment, concourent à 90% du résultat. Pour traiter cette donnée, le métavers est un outil puissant de convergence de la donnée externe, hétérogène et granulaire. Les puissances de calcul de telles données massives devront toutefois attendre la puissance quantique, soit les qBits.

Une des résultantes principales de ces stratégies numériques est que l’on passe d’une logique Price the product, à une logique Price the consumer, comme il se dit à la Silicon Valley. Auparavant, les marques avaient un portfolio de produits et services qu’elles proposaient aux consommateurs. Des produits imaginés en interne sans confrontation aux commentaires massifs de l’externe ou tout simplement aux besoins des individus. Ces produits pouvaient être polluants ou inadaptés, voire sous utilisés, non adaptés aux genres, personne ne pouvait s’en plaindre ouvertement et les marques continuaient à produire dans leur coin. 

Aujourd’hui les géants de la tech et certaines marques imaginent et adaptent leurs offres de produits et services sur la base de l’écoute consommateur, faut-il le rappeler avec le prisme du métavers ville. A force d’héberger la donnée de ses clients commerçants Amazon a, de façon opportuniste, développé son offre indépendante de Cloud AWS. C’est un développement contextuel qui est devenu une norme. Netflix par l’analyse de la donnée produit des contenus contextuels, par thématiques (latino, black, asiatiques, lgbtqi+) ou localité (62% des productions sont locales, ie. par pays). Un modèle de production du bien culturel orienté Demande, à l’opposé du modèle français orienté Offre – préfinancement en amont des œuvres par le CNC ou les chaînes, le public n’ayant pas d’impact sur le financement.

Les stratégies deviennent complexes : au cœur de la notion de complexité associée aux stratégies marketing est la capacité donnée aux entreprises d’exploiter la multiplication des points de contact dans la ville. Celle-ci est rendue possible par l’intelligence artificielle et le cloud. Avant, s’offrait aux marques un point d’entrée unique dans leur écosystème : le magasin physique. Au fur et à mesure de la multiplication des nouveaux points d’entrées, les expériences utilisateurs ont pourtant été répliquées à l’identique : le design des magasins physiques a été répliqué sur celui des sites web qui fut répliqué sur celui des sites mobiles, avec aujourd’hui une volonté de faire de même, sur les réseaux sociaux ou assistants vocaux type Alexa. Or, il parait absurde d'adapter les points d'entrées aux marketplaces, il faut calquer les places de marché sur la dissémination des points d’entrée offerts par la ville, avec une logique totalement différente : ubiquitaire et complexe. En des termes plus marketing, le purchase funnel auparavant linéaire est aujourd’hui totalement chaotique, au sens de chaos, au sens de théorie de la complexité.

Vendre en linéaire ou vendre grâce à l’Intelligence artificielle (eg. Alexa), n’a strictement rien à voir, notamment eu égard à la notion de contexte d’achat, mais également à la profondeur de catalogue offerte : 350 millions de produits disponibles sur les différentes marketplaces du géant Amazon. Avec les assistants personnels intelligents, on ne présente pas des produits comme sur une page d'accueil de site web, ou en linéaire de magasin, les uns rangés à côté des autres : on joue sur les logiques de recommandation et de contexte. Ces dernières sont produites par ce que l’on appelle des algorithmes de recommandation. Phénomène essentiel chez Amazon, les produits disponibles sur ses différentes plateformes de marché sont des biens systémiques. Ils sont ainsi tous liés les uns aux autres grâce notamment à la métadonnée. Vous regardez un film sur Prime Vidéo qui traite de paysages maritimes, la plateforme dans sa stratégie de métadonnée “in content” liera ce film à un livre sur le même thème. Vous achetez un téléviseur, on vous propose d’autres produits (gris ou blancs) : "you might also like... ?” Cette notion de lien entre les différents éléments épouse la même logique que celle évoquée par Agnès Yun, celle d’un monde organique. C’était également celle de Tim Berners Lee, avec ses liens hypertextes qui avaient pour vocation de créer de la circularité d’un site web l’autre, d’une information l’autre, de façon systémique.

Pour résumer, dans cette ville ou chaque élément est connecté, il devient possible de découvrir, faire l'expérience de n’importe quel produit ou service, que l’on désire celui-ci ou que l’on vous le propose instantanément, pour une raison ou une autre. Il est possible ensuite d’acheter ce produit voire de se le faire livrer n’importe où. À vélo, je croise des adolescents dévorant des tartines de pâte chocolatée à la terrasse d’un café, je demande à l’assistant vocal de mes lunettes Echo Frames Bose de me faire livrer deux pots de la célèbre marque italienne pour mon arrivée à la maison… Ces pots seront livrés à mon domicile avant mon arrivée.

Si on extrapole cette théorie, adapter les messages revient alors à produire un service où un contenu, qui à l'aide de la donnée, va se conformer exactement au contexte de sa consommation. Amazon sait que vous êtes au cinéma ou tout bonnement occupé, il vous livre directement dans le coffre de votre voiture qui fait ici office de point de contact. Telle marque vous sait mobile, elle produit des contenus dont la forme et le fond s’adaptent aux écrans urbains et au lieu dans lequel vous vous trouvez. Telle marque veut appréhender toute la richesse, en termes de diversité, de la nature humaine, elle produit des contenus et services qui s’adaptent à la capillarité des media et contextes de niche. Amazon propose ainsi des produits et services géolocalisés. Spotify fait de même en partenariat avec AccuWeather propose Climatune, soit des ambiances musicales en fonction de la météo où vous vous trouvez. Le contexte est le point de contact.

Les stratégies deviennent instantanées : il faut enfin être en mesure de répondre à l’instantanéité des désirs, résultante de la rapidité avec laquelle l’information ou la donnée circulent dans le métavers. Selon une étude Nielsen, 63% des consommateurs européens sur les plateformes de e-commerce achètent des produits en provenance de l’étranger. Kol, Cajoo, Gorillas, Flink, reines du quick-commerce vous promettent une livraison en 10/15 minutes maximum… de jour comme de nuit. Le consommateur veut donc tout, tout de suite, quel que soit le lieu où il se trouve ou la provenance des produits. Pire, une transaction sur un site plante, le consommateur ira chercher ailleurs et ce n’est pas pour rien qu’Amazon permet aujourd’hui de payer sur le site de Kiabi ou Le Coq Sportif avec son propre système Amazon Pay : il fonctionne en one click.

Vous êtes au BHV, le rack de 500 feuilles Clairefontaine vous semble cher, vous scannez son code barre avec Amazon Prime, vous avez le prix du produit sur la plateforme mobile et si la différence est à votre avantage vous le commandez instantanément : contexte, où que vous soyez, quel que soit ce que vous fassiez, une place de marché s’offre à vous en un cliquement de doigt. Il en est de même pour le conseil. Quel que soit le lieu où vous vous trouvez, un conseiller doit pouvoir vous accompagner, en temps réel. Hier au téléphone ou sous la forme de chatbot, aujourd’hui grâce aux assistants personnels vocaux, demain grâce aux avatars virtuels qui existent déjà au Japon (cf. Azuma Hikari le "waifu" virtuel animé vivant à l'intérieur de sa Gatebox). Le virtuel et le physique s’imbriquent pour ne faire plus qu’un et réduire l’espace-temps à la portion congrue.

4Intégrer le multi-échelle dans les stratégies media et marketing

- La chambre de l’adolescent : lui permet de se connecter au monde virtuel qu’il soit social, informationnel, éducationnel ou du divertissement grâce à sa smartwatch Garmin, son smartphone, son ordinateur portable, sa tablette, son assistant personnel… ;

- Cette chambre si l’on dézoome se trouve dans une maison : elle-même connectée, par Echodot 10 dans la cuisine, un téléviseur connecté dans le salon, un frigo connecté dans la cuisine, divers home appliances et autre IoT… Mais également lorsque la voiture Tesla pénètre dans le garage, son App-Voiture se connecte à l’écosystème énergétique Tesla Maison et permet de gérer la production, consommation et revente d’énergie (produite par le véhicule et les panneaux solaires, stockée par les batteries de la même marque) le tout sans couture, d’un écosystème l’autre, comme l’on dit en marketing (seamless) ;

- Last but not least… cette maison se trouve dans un quartier, un arrondissement, une ville, entièrement connectés comme vu un peu plus haut, par le cloud, la 5G.

Il devient donc possible d’appréhender cet environnement à différentes échelles au profit des stratégies business et marketing des marques. Ces échelles sont hyper locales, micro locales, locales, au niveau du quartier, de l’arrondissement… Et encore, on ne parle ici que d’échelles spatiales. On peut également intégrer l’échelle temporelle, les aspects culturels, ethniques, de genre, émotionnels, comportementaux, attitudinaux… et que sais-je. Ces échelles sont fondamentales pour appréhender les individus dans toute cette complexité (celle de la ville et de ces interactions humaines). Charge aux marques de circuler dans ce grand ensemble multidimensionnel, à l’image de Inception de Christopher Nolan, pour aller planter une information dans le cerveau d’un individu.

Une grande marque de café d’origine américaine… souhaitant cibler les personnes qui doivent faire de l’exercice peut les inviter à pratiquer du sport dans la salle voisine, ou le terrain de jeu urbain voisin, en échange de quoi, ces personnes se verront offrir 5% sur leur latte au lait d’avoine. La marque se connecte à ces individus sur Google Maps, où grâce à une notification lorsque la personne passe près du lieu où elle pourrait pratiquer du sport. Si un magasin de sport se trouve à proximité des deux, alors la marque peut se connecter en triangulation avec la personne.

5Des mondes difficiles à appréhender pour les décideurs

D’un monde de corrélations et de causalités simples, on passe à un monde où la masse d’information rencontrée dans ces métavers force les marques à appréhender les conséquences de leurs actions différemment :

Soit de façon non déterministe, si l’on regarde en arrière : il s’est passé cela, impossible d’en identifier les raisons. Soit de façon probabiliste, si l’on regarde devant soi : je fais ceci, il est possible que cela donne cela ou autre chose.

Si l’on regarde devant, les décideurs sont alors, moins dans un monde de résultats certains à court terme, que de dynamiques créées, dont il sera nécessaire d’analyser les différents effets rebonds et conséquences à moyen terme. On est dans une logique d’analyse des jeux d’interaction entre les différents individus, entre les différents points de contacts. Cela revient à appréhender les résultats de ces dynamiques de façon probabiliste.

La mesure des résultats de ces campagnes marketing sera alors plutôt qualitative, que quantitative. Grâce à l’analyse de la donnée externe (qualitative), les marques créent, à l’aide de sociétés d’IA telles la française Synomia, des référentiels d’informations stratégiques. On peut, dans ces référentiels, identifier la dissonance, les hiatus, ou encore les défauts de perception, entre les communications des marques (ou le lancement d’un produit ou service) et l’accueil qu’en ont les individus. L’information recueillie, sous la forme de graph informationnels de données, peut servir de différente façon : annuler le lancement, corriger le produit, voire lui permettre de monter progressivement dans la chaîne de valeur.

On peut rapprocher cette logique des stratégies de MVP-Minimum Viable Product des géants de la tech. Ces produits sont lancés sur le marché pour être ensuite finalisés grâce aux multiples retours des consommateurs sur les plateformes digitales (mesurés grâce à l’analyse sémantique).

Des outils très sophistiqués existent aujourd’hui pour analyser ces jeux d'interaction, notamment l’Agent Based Modelling (ABM).

...et empreints d’incertitude :

Dans ce monde complexe, l’incertitude est de mise : les barrières à l’entrée n’existent plus, tout se connecte et s'inter-pénètre sans limite d’espace ou de temps, tout arrive de partout sans prévenir. Il devient ainsi difficile d’expliquer, de prévoir ou de comprendre. On se doit, en tant que marque ou émetteur, d'être ainsi agile, pour accueillir cette incertitude sans stress pour sa structure.

Sur le volet concurrence sectorielle : les géants de la tech n’ont de cesse de se diversifier vers d’autres secteurs, ce sans aucune autre légitimité que la connaissance tirée de la donnée consommateur : la concurrence vient de partout.

Sur le volet marketing / communication : ce qu’un individu énonce sur un réseau social, voire la communication d’une marque, circulent sans entrave : les messages se disséminent partout, à grande vitesse et se télescopent.

Sur le volet impact des événements : on parle parfois de Cygnes Noirs, un évènement lambda et hautement improbable d’un côté du monde, peut avoir une incidence dramatique à l’autre bout de la planète, voire une influence globale, cf. la crise sanitaire de la Covid-19 : tout ce qui est imaginable, voire ne l’est pas, peut arriver et avoir des conséquences exceptionnelles sur tout un écosystème.

Conclusion

Vous l’aurez compris, ce qui arrive est tout naturel, au sens où c'était écrit. Umberto Eco et sa bibliothèque infinie, est bien le mythe auquel l’humanité peut aspirer. Naviguer dans la multitude qui, selon Verdier et Colin, invite les “entrepreneurs et politiques à comprendre et à utiliser la valeur considérable créée par chacun d’entre nous”, c’est-à-dire valoriser la créativité des individus, était également prophétique. Mais aujourd’hui nous avons Meta, un ensemble qui dit son nom pour mieux cacher son dessein, celui que nous avons décrit dans ces pages. Si la ville se connecte peu à peu, inexorablement, pour se calquer sur les biomes, elle ne peut en avoir les mêmes règles, celles de la jungle.

La puissance technologique de Meta est sidérante. Alors que j’avais eu la chance d’échanger avec son patron français, j'évoquai au sujet de FB un adolescent hyperactif et virulent. Celui-ci devait se civiliser et une fois arrivé à l'âge adulte, il me semblait qu’il le ferait naturellement. Dans un monde où le contact physique disparaît au profit du virtuel, ce n’est plus le 'Web is Dead', mais l’humanité, faite de chair qui disparaît. Cette humanité faite de souffrance et de chagrin, de heurts, en un mot faite de contacts et de frictions. Cela me rappelle le débat Yuval Harari - Gaspard Koenig sur la souffrance. Comment se construire sans celle-ci, comment apprendre sans adversité, sans rugosité, quand tout est fluide et liquide, insipide.

Les adolescents se parlent sur Instagram et ne se comprennent plus dans la cour d’école. Les subjectivités autrefois maladroites deviennent tangibles et on fait tout pour réduire le risque jusqu'à utiliser des applications de consentement pour un baiser. Le numérique simplifie la vie et le quotidien mais l’amour est complexe. Il faut donc faire preuve de vigilance, ériger l’éthique et la fraternité en fers de lance. Mais et je finirai comme j’ai commencé avec Aragon, “Jamais un de mes poèmes n'a arrêté un tank”.

 

Image de couverture : Manny Moreno sur Unsplash