Liens vagabonds : La carte de presse, révélateur de l’ubérisation du journalisme

Le journaliste est en perpétuelle lutte contre son environnement. Il se bat pour décrocher un contrat correct, des rémunérations décentes, une direction bienveillante, des missions significatives, l’attention du public… et la carte de presse. 50% des lauréats du prix Albert-Londres ne détiennent pas ce précieux sésame, délivré par la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP). Certains en fabriquent même des fausses pour pouvoir faire leur métier. Ce 16 janvier, sur le site de Télérama, près de deux cents professionnels, dont plusieurs prix Albert-Londres, ont appelé dans un texte commun à revoir les conditions d’obtention de cette carte « indispensable », voire « vitale » à l’exercice du métier. Ce « gage de crédibilité » permet ainsi de traverser les check-points en zone de guerre, d’accéder aux bâtiments publics et gouvernementaux, aux audiences des tribunaux et d’éviter de se faire matraquer par des CRS…

Pour pouvoir prétendre à la carte de presse, le travail journalistique doit être payé en salaire. Or, de nombreuses entreprises contournent la loi et préfèrent payer par exemple en droits d’auteur, en factures. « La carte de presse est attribuée par une instance qui se fonde sur une loi qui ne reflète plus la réalité du journalisme actuel, touchés comme d’autres secteurs par une forme d’ubérisation, dénonce la tribune. Si les free-lance sont alternativement auteurs, réalisateurs, salariés ou entrepreneurs, c’est qu’ils ne peuvent gagner leur vie qu’en multipliant les contrats et les formats. Nous dénonçons la position de la CCIJP qui nous semble à la fois, absurde, dépassée et d’une grande injustice sociale ». Pour Hélène Lam Trong, lauréate du 39e prix Albert Londres, il est temps que la CCIJP cesse d’ignorer les « réalités multiples et variés de notre profession ».

Une tribune qui manquerait sa cible ?

Pour l’association Profession : Pigiste, la CCIJP ne fait qu’appliquer la loi. Le véritable problème réside dans le non-respect de la législation par les employeurs qui rémunèrent en droits d’auteurs plutôt qu’en salaire. En refusant de payer les cotisations sociales, ces employeurs paupérisent et dégradent le statut d’un métier déjà très mal en point. « Rémunérer un travail journalistique en facture, en droits d’auteur, en salaire d’intermittent, c’est illégal », rappelle Malika Butzbach, co-présidente de Profession : Pigiste et journaliste rémunérée à la pige « Si on demande l’élargissement de l’accès à la carte de presse pour ses formes de rémunération illégale, ça risque de précariser encore davantage les journalistes ». Aujourd’hui, 66% des journalistes de 30 ans et moins de 30 ans sont pigistes ou en CDD. « Quel est l’intérêt d’avoir quelqu’un en CDI quand tu peux juste avoir des auto-entrepreneurs au jour le jour ? C’est top pour les patrons ! Les pigistes, déjà c’est bien pratique, c’est les méga-intérimaires de l’espace », ironise un journaliste, habitué des boîtes de production. Pour lui, attaquer la CCIJP dédouane les employeurs de toute responsabilité.

Lier les deux combats ?

 « Critiquer la CCIJP n’empêche pas de se battre pour que les employeurs respectent la loi et pour une augmentation des tarifs », tempère la journaliste Nora Bouazzouni. Elle est rejointe par Hélène Lam Trong : « Les deux combats peuvent être menés de front. Ce n’est pas parce que certains employeurs se comportent mal que le fait que la CCIJP nous ait purement et simplement tourné le dos soit acceptable ».

A l’avenir, l’association Profession : Pigiste serait favorable à une pénalisation des employeurs qui rémunèrent de façon illégale. « On va toujours se battre pour le salariat des journalistes sous la bonne convention collective parce que c’est une protection sociale et juridique imparable », insiste Malika Butzbach. Pour le sociologue des médias Jean-Marie Charon, une approche fiscale pourrait dissuader de ce recours à ces modes de rémunération. Le défi réside donc dans la recherche d’un équilibre entre la protection des droits des journalistes, la nécessité de préserver la liberté de la presse et la conformité aux lois en vigueur.

CETTE SEMAINE EN FRANCE

  • «Ça a été le boulot le plus difficile de ma vie» : pour TikTok, la modération jusqu’au dégoût (Libération)
  • Olympic Broadcasting Services, la très secrète entreprise qui règne sur les JO (Le Monde)
  • Macron s’offre une soirée sur mesure, comme au bon vieux temps de l’ORTF (Mediapart)
  • « Tu as M’Barkisé le prompteur ? » : les confessions de l’ex-présentateur star de BFMTV accusé de corruption (Le Parisien)
  • « Complément d’enquête » sur Jordan Bardella : France Télévisions maintient la diffusion de l’émission malgré une mise en demeure (Le Monde)
  • Les journalistes de l'AFP solidaires de leurs collègues de Gaza (AFP)
  • Cyril Hanouna va présenter « TPMP » sept jours sur sept (Le Parisien)

3 CHIFFRES

  • Près d'un tiers de l'ensemble des revenus des lecteurs numériques du Guardian provient désormais des États-Unis, d’après NiemanLab.
  • Le temps passé à regarder des contenus vidéo a atteint 4h37 par jour en moyenne pour les Français en 2023, selon Médiamétrie.
  • Des documents de Meta montrent que 100 000 enfants sont harcelés sexuellement chaque jour sur ses plates-formes, rapporte le Guardian.

LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE

IA générative : c'est bien dans les médias que les risques sur l'emploi sont les plus grands

NOS MEILLEURES LECTURES / DIGNES DE VOTRE TEMPS / LONG READ

  • Squeezie, l’indétrônable grand frère de l’Internet français (Le Monde)
  • Comment les plateformes ont tué Pitchfork (Platformer)
  • Des milliardaires voulaient sauver l'industrie de l'information. Ils perdent une fortune (New York Times)
  • Nos enfants vivent dans un monde numérique différent (New York Times)
  • Fausses chaînes YouTube : quand « Sophie décrypte » ou « 360 Vision » travaillent pour un réseau d’influence pro-Chine (Le Monde)

DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION

  • Les utilisateurs (d'OpenAI) vont commencer à avoir accès à des reportages d'actualité en temps réel dans le monde entier, y compris les attributions et les liens  (OpenAI)
  • Amazon est sur le point de manger l'univers de la télévision (Hollywood Reporter)
  • Le nouvel objectif de Mark Zuckerberg est de créer une intelligence artificielle générale (The Verge)

DONNEES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE,DÉSINFORMATION

  • Israël figure pour la première fois sur la liste des "pires geôliers de journalistes" (The Guardian)
  • Voici le grand projet d'OpenAI pour lutter contre la désinformation électorale (The Verge)
  • TikTok détaille son plan de lutte contre la désinformation électorale en 2024 (Engadget)

LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION

  • Un tribunal espagnol juge qu'un modérateur de Facebook a subi un traumatisme mental lié à son travail (Reuters)
  • Le Congrès tente de mettre fin aux nus d'IA et aux escroqueries Deepfake parce que les célébrités sont en colère (Vice)

JOURNALISME

  • Cinq mesures que les médias d'information peuvent prendre pour répondre à l'évitement systématique de l'information (Reuters Institute)
  • Le nouveau patron de CNN réorganise les opérations d'information et envisage un modèle d'abonnement numérique (The Wall Street Journal)
  • Gilles Marchand s’en va, mais les défis de la SSR restent (24 heures)
  • Pitchfork est intégré à GQ (Variety)
  • Les médias féministes ont pour la plupart disparu. Où vont maintenant les écrivains et les récits féministes ? (Study Hall)
  • Le personnel du LA Times prévoit une grève en prévision de fortes suppressions d'emplois (Axios)

ENVIRONNEMENT 

  • Une vague alarmante de désinformation climatique se propage sur YouTube (CNN)

RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS

  • La femme de 2 milliards de dollars : comment Sheryl Sandberg est devenue l'une des patronnes les plus réussies de la tech (The Guardian)
  • Sheryl Sandberg quitte le conseil d'administration de Meta (Axios)
  • L'application de partage d'informations Artifact, créée par les fondateurs d'Instagram, va (déjà) fermer (Artifact Team)
  • L'économie des créateurs est prête pour un mouvement syndical (TechCrunch)
  • TikTok peut générer des chansons grâce à l'IA, mais cela ne devrait probablement pas être le cas (The Verge)
  • Les influenceurs italiens seront soumis à des règles plus strictes (BBC)

IMMERSION, 360, VR, AR

  • YouTube et Spotify rejoignent Netflix pour ne pas lancer les applications Apple Vision Pro (Bloomberg)

STREAMING, OTT, SVOD

  • Félicitations et adieu à l'âge d'or de la télévision (New York Times)

AUDIO, PODCAST, BORNES

  • L'industrie des podcasts en perte de vitesse (Semafor)
  • WePod lance "Sounds like Europe", un podcast transfrontalier sur l'industrie audio européenne (Laboratorio De Periodismo)
  • L'UE demande aux plateformes de streaming de musique en continu de mieux rémunérer les artistes (Engadget)

Web3, BLOCKCHAIN, CRYPTO, NFT

  • Les "Stablecoins" ont permis de réaliser 40 milliards de dollars de cryptocriminalité depuis 2022 (Wired)

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION

  • Au Japon, la lauréate d'un prix littéraire reconnaît que ChatGPT a écrit une partie de son roman (Le Figaro)
  • ChatGPT devra évoluer de manière "inconfortable", selon Sam Altman (Axios)
  • L'intelligence artificielle générative entraînera des suppressions d'emplois cette année, selon les chefs d'entreprise (Financial Times)
  • Google News renforce les articles inutiles générés par l'IA (404media)
  • Google licencie “des centaines” de personnes de plus alors que la division publicitaire bascule vers des ventes alimentées par l'IA (Ars Technica)
  • Sam Altman, le père de ChatGPT, superstar du forum de Davos (Le Figaro)

MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ

  • Comment le Guardian a obtenu un montant record de revenus de la part de ses lecteurs aux États-Unis (NiemanLab)
  • Pourquoi les annonceurs ne s'éloigneront-ils pas de X avant le Super Bowl ? (Digiday)

Kati Bremme, Alexandra Klinnik