TikTok vs Instagram : de rivaux à (presque) jumeaux dans la stratégie des médias publics

Deux rivaux, une même grammaire visuelle : autrefois perçus comme les pôles opposés des usages sociaux numériques, TikTok et Instagram tendent désormais à se confondre. Pour les médias de service public, cette convergence soulève une question stratégique : comment continuer à toucher les jeunes publics, sans dupliquer les efforts ? Décryptage d’une évolution accélérée des formats, des usages et des attentes avec deux responsables du développement de l’audience à la Deutsche Welle.

Par Erika Marzano, Audience Development, et Yasmina Al-Gannabi, Senior Audience Development Manager & Social Media Security Officer @Deutsche Welle (DW)

Lorsque nous avons pris la parole lors du Festival international du journalisme de Pérouse en 2022, dans un panel intitulé « TikTok vs. Instagram Reels », nous évoquions deux plateformes aux dialectes sociaux distincts : TikTok, sauvage, chaotique, imprégné de l’irrévérence de la Gen Z ; Instagram, soigné, aspirationnel, dominé par l’esthétique du fil parfaitement orchestré. Mais cette ligne de fracture ? Elle s’estompe aujourd’hui – voire disparaît.

En 2022, TikTok était largement considéré comme la plateforme incontournable pour des récits intemporels, centrés sur la jeunesse et porteurs d’une viralité imprévisible – un espace où naissaient les tendances et où l’émotion dictait la visibilité. À l’inverse, Instagram apparaissait comme l’outil privilégié pour l’actualité chaude et les formats léchés, parfaitement calibrés pour les flux, en particulier pour les marques médias traditionnelles adaptant leurs contenus web ou télévisés.

En 2025, Instagram et TikTok ressemblent de plus en plus à des jumeaux numériques. Les fonctionnalités se confondent (Reels, Stories, Carrousels, intégration musicale, monétisation des créateurs), les tendances passent de l’un à l’autre en quelques heures, et même l’esthétique des créateurs – autrefois spécifique à chaque plateforme – tend à converger.

Mais que cela implique-t-il pour les médias de service public ?

1. Fonctionnalités similaires, comportements similaires

TikTok et Instagram :

  • favorisent la recommandation algorithmique plutôt que la portée organique fondée sur les abonnés
  • privilégient la vidéo verticale, courte, immersive
  • utilisent la musique comme levier de découverte
  • mettent en avant le récit visuel et l’authenticité

Instagram a imité l’expérience de la page « Pour toi » de TikTok via Reels Explore. TikTok a intégré un « mode photo » (carrousels), tandis qu’Instagram s’est mis aux sons viraux et à la circulation ultra-rapide des mèmes. Même les interactions dans les commentaires se ressemblent désormais : elles reposent sur des réactions courtes, émotionnelles, ponctuées de clins d’œil entre initiés.

En 2025, un phénomène inattendu est apparu : des contenus d’actualité, des breaking news, les extraits de conférences de presse performent aussi bien sur TikTok que sur Reels. « Ce qui se passe maintenant » est devenu une valeur commune. Les audiences, bien que non identiques, attendent de la réactivité sur les deux plateformes. Ce changement de rythme nous oblige à revoir nos présupposés : TikTok n’est plus seulement un espace à viralité lente.

2. Stratégie de plateforme : les différences s’atténuent

Dans les faits, TikTok reste légèrement plus jeune. Selon le Digital News Report 2025 du Reuters Institute, 44 % des 18-24 ans l’utilisent chaque semaine pour s’informer, contre 39 % pour Instagram. Facebook demeure présent chez les plus de 35 ans.

Ce qu’il faut retenir : TikTok reste dominant chez les plus jeunes, mais Instagram le talonne, notamment dans les régions où l’écosystème Meta est très implanté.

3. L’adaptation des médias publics : un jeu d’équilibre

Pour des diffuseurs comme DW, BBC, RFI ou NPR, l’enjeu n’est pas de choisir entre les plateformes, mais de suivre leurs mutations et de répondre aux attentes de leurs publics sur chacune. Instagram ne se limite plus à l’esthétique. Il valorise l’immédiat, la réaction, l’humour et l’émotion. TikTok reste le berceau des tendances, mais l’écart se réduit, et bon nombre de Reels sont aujourd’hui indiscernables de leurs homologues TikTok.

Nos processus créatifs s’uniformisent donc, tout en adaptant certaines spécificités : textes, droits musicaux, appels à l’action. Chez DW en espagnol, par exemple, les contenus les plus performants naissent souvent comme projets TikTok, puis sont optimisés pour Reels avec un habillage localisé.

4. Découvrabilité et référencement : les nouvelles règles

La visibilité est clé. Une étude de Previsible démontre que les Reels Instagram publics sont désormais indexés par Google, ce qui les rend accessibles hors de la plateforme. Un changement majeur pour les rédactions sensibles aux enjeux de référencement.

Conséquences pour le SEO :

  • Les Reels publics sont visibles via Google
  • Les légendes optimisées (jusqu’à 2¢000 caractères) comptent
  • Des noms de fichiers et un texte alternatif riches en mots-clés aident au référencement
  • Les hashtags ont moins de poids que le contexte

TikTok reste à ce jour une plateforme fermée, mais teste l’intégration de Google dans certaines régions pour améliorer la recherche. Meta, en revanche, investit massivement sur les Reels, pensés à la fois comme moteurs d’engagement et outils de découverte.

5. TikTok & Instagram en Bulgarie : étude de cas

Dans notre dernier rapport mensuel pour DW Bulgarie, Instagram a émergé comme levier de croissance majeur. Quelques chiffres :

  • 77 % des contenus publiés étaient des Reels
  • Les Reels les plus vus intégraient musique, voix off personnelle et actualité régionale
  • TikTok progressait, mais la synergie avec Facebook donnait à Instagram un avantage en termes de rétention

Parallèlement, le TikTok de DW Bulgarie s’est imposé comme un espace clé pour toucher les jeunes avec des contenus à forte charge émotionnelle. Entre février et juin 2025, plus de 84 % des vues venaient de Bulgarie, avec une nette préférence pour les vidéos mêlant actualité impactante et narration incarnée.

Les sujets les plus engageants ? Les tragédies et manifestations (comme l’incendie dans une boîte de nuit en Macédoine du Nord), les décryptages de la désinformation liée à l’UE, les pastiches de scandales politiques. Le format vertical court permettait une narration efficace et visuelle, atteignant parfois des centaines de milliers de vues sans promotion. Les contenus explicatifs au ton émotionnel ou sarcastique surpassaient largement les formats plus figés.

La tendance est claire : en Bulgarie, TikTok n’est plus un simple réseau « pour les jeunes ». C’est un terrain de lutte narrative, en particulier autour de la désinformation, des droits et de la responsabilité politique. L’espace commentaire est devenu un baromètre d’intérêt citoyen et une source précieuse d’angles journalistiques.

Conclusion : pas l’un ou l’autre. Les deux.

Opposer TikTok et Instagram n’a plus de sens. Ce sont deux constellations d’un même système. Pour les journalistes, créateurs et stratèges, cela signifie :

  • Penser en formats, pas en plateformes
  • Tester les contenus là où les publics sont réceptifs
  • Suivre les performances via les partages, les commentaires, les sauvegardes et les taux de complétion

Ce n’est plus TikTok contre Instagram, mais TikTok et Instagram. L’enjeu n’est plus de se répéter, mais de créer de la résonance. Ce qui relevait autrefois de stratégies propres à chaque plateforme s’est transformé en un processus de travail partagé et adaptatif. Lorsqu’un sujet fonctionne, c’est d’abord le format qui guide notre réflexion, non la plateforme.

Cette agilité nous permet de rejoindre nos publics là où ils se trouvent, au moment où leur attention est disponible. Et de faire en sorte que le récit porté par les médias publics demeure accessible, vivant et profondément humain — des deux côtés de l’écran.

Cet article a été traduit et repris avec l’accord de ses autrices, la version originale est publiée ici

franceinfo à propos des médias

Voir plus sur franceinfo