CES 2023 : Métavers humain, mobilité verte, santé connectée et écrans immersifs
Contrairement aux éditions précédentes, le CES 2023 n’a pas révélé d’innovation très disruptive. Plus orienté consommation quotidienne qu’innovation lointaine, les principales thématiques étaient les expériences immersives, la santé connectée et l’écoresponsabilité, une confirmation de tendances émergentes et une consolidation des développements en cours. Avec plus de 3 200 exposants venus de 170 pays et plus de 115 000 visiteurs, cette 56ème édition a permis de renouer avec le public après deux années marquées par la pandémie. A noter : près d’un tiers des exposants étaient nouveaux sur le salon. Voici un résumé des éléments qui ont retenu notre attention :
Vincent Nalpas, Directeur Innovation Produits et Yves-Marie Poirier, Ingénieur Technologies et Innovations
That’s a wrap on day 3 of #CES2023!✅There’s still one more day to see it all before we see you again January 9-12, 2024. pic.twitter.com/nxSpJtf5E7
— CES (@CES) January 8, 2023
La voiture du futur : une expérience avant tout
L’automobile était particulière mise en avant pendant cette édition du CES. Dans les allées du salon, où l’on pouvait trouver beaucoup de sociétés proposant des systèmes de capteurs à base de LIDAR et d’intelligence artificielle pour la voiture autonome et quelques concepts de transports en communs autonomes pour les smart cities du futur, beaucoup de constructeurs se sont alliés à des piliers du monde des services logiciels pour présenter leur vision de l’automobile. Cette vision est généralement celle d’une expérience centrée sur l’utilisateur, continue entre la maison, le smartphone et la voiture avec les nouveaux systèmes d’infodivertissement sur des écrans toujours plus grands embarqués dans les voitures, généralement électriques et autonomes.
Ainsi, Sony s’est associé à Honda pour présenter Afeela dont l’intérieur est conçu comme un espace de divertissement interactif pour les passagers où l’on pourra retrouver des jeux de licences Playstation ou Epic Games. Nvidia a mis en avant son écosystème Nvidia DRIVE pour les constructeurs de voitures électriques et a annoncé l’arrivée de Geforce NOW, la plateforme de streaming de jeu vidéo, dans les véhicules équipés de DRIVE mais également la possibilité de l’intégrer dans les autres environnements logiciels d’infodivertissement.
Samsung Electronics a aussi présenté l’écosystème ICX “In Cabin Experience”, pour fournir des expériences personnalisées au conducteur et aux passagers, comme Ready Care qui s’assure de la sécurité du conducteur en analysant ses données physiques en temps réel, ou “Ready on Demand”, une plateforme d’expériences audio.
Afeela, la nouvelle marque de voitures électriques
Fiat s’est allié à Microsoft pour proposer le FIAT Metaverse, une sorte de showroom virtuel qui s’invite chez le consommateur. Google, de son côté, a mis en avant une nouvelle mise à jour Android Auto avec de nouvelles expériences multimédia et notamment une meilleure intégration de Spotify. L’écosystème Android propose désormais une continuité de l’expérience audio qui permet, par exemple, de commencer un podcast en voiture et de le continuer sur son téléphone ou sur sa télé avec le Chromecast.
Sur le stand d’Amazon on pouvait trouver la présentation d’un service permettant aux constructeurs automobiles de créer une version customisée d’Alexa, embarquée dans leurs voitures, et également la vision d’Amazon pour l’expérience automobile qu’ils développent en partenariat notamment avec Stellantis. Peugeot, BMW et Volkswagen ont également présentés leurs prototypes de la voiture électrique du futur.
La société Holoride qui propose des expériences en VR pour les passagers en voiture s’adaptant aux mouvements du véhicule, lauréate d’un prix d’innovation du CES cette année, a annoncé la sortie d’”Holoride retrofit”, boitier qui envoie en Bluetooth les données de mouvement du véhicule au casque, pour rendre sa technologie compatible avec n’importe quel véhicule, technologie à l’origine réservée à certains modèles Audi.

La XR et le métavers continuent doucement leur développement
Les technologies de la XR (réalité virtuelle, augmentée, mixte…) étaient en effet également présentes au CES, sans toutefois d’annonce majeure qui bousculerait ce marché. Pour les casques de réalité virtuelle, il y a, entre autres, TCL qui présente le prototype d’un nouveau casque autonome à 6 degrés de liberté, le Nxtwear V, équipé à l’instar des principaux casques du marché d’une puce Qualcomm XR2. HTC présente quant à lui le nouveau Vive XR Elite, casque autonome et PCVR de réalité mixte haut de gamme et modulaire, qui pourrait intéresser les professionnels et également les consommateurs de VR fortunés.

TCL Nxtwear V
Le CES est également l’occasion pour Sony de faire essayer son casque PSVR 2 avec son jeu exclusif de lancement Horizon : Call of the Mountain, qui sort en février prochain. Sony présentait aussi sur son stand un certain nombre d’innovations pour la captation de sports en 3D et leur diffusion dans le métavers, grâce à la vidéo volumétrique ou la motion capture par analyse d’images IA avec ses sociétés Hawk-Eye et Beyond Sports. Sony montrait également le système de motion capture sans fil grand public “Mocopi” qui, grâce à six capteurs appairés à un smartphone, permet de tracker les mouvements de l’utilisateur pour les répercuter sur son avatar, par exemple sur les plateformes de réalité virtuelle sociales.

Sur le stand de Panasonic on retrouvait un système de motion capture similaire “Haritora X Wireless” de la société Shiftall. Elle dévoilait également le casque VR PCVR et autonome “MeganeX” (Panasonic en fournit les lentilles pancake), compatible SteamVR, qui se démarque par son design orienté confort et légèreté et son affichage 5,2k OLED.

Côté réalité augmentée, Magic Leap confirme sa nouvelle orientation vers le marché professionnel avec par exemple son partenariat avec la société Brainlab qui développe des applications en réalité augmentée pour le domaine médical, en permettant aux chirurgiens de visualiser les données d’imagerie médicales en AR.
Un des leaders en neurotechnologie, OpenBCI, a annoncé une nouvelle version de leur plateforme d’interface neuronale non-invasive Galea sur le casque Varjo XR-3, permettant d’ouvrir les cas d’usages à cette technologie d’interface cerveau-ordinateur à la réalité mixte. Ce casque permet de mesurer un grand nombre de signaux de l’utilisateur comme son cœur, ses muscles, ses yeux ou encore son cerveau.
On retrouve également de nombreuses solutions de contrôle par les gestes ou “Hand tracking” comme “Ultraleap” et de dispositif à retours haptiques comme les vestes et gants bHaptics, HaptX ou encore Owo, permettant de réduire encore la frontière entre la réalité et les mondes virtuels au niveau de l’interaction et des sensations.
Les fabricants de composants pour casques et lunettes de réalité augmentée continuent d’améliorer leurs produits, que ce soit en termes de champ de vision, de résolution et luminosité, etc… Par exemple la start-up Petaray démontrait sur son stand sa technologie LiFiD qui devrait permettre à l’avenir de diminuer la fatigue des yeux lors de l’utilisation de lunettes de réalité augmentée en permettant d’accommoder la netteté des objets virtuels 3D en fonction de la distance par rapport à l’utilisateur. La société Lumus a de son côté présenté les lentilles pour lunettes AR Z-Lens avec une résolution de 2k x 2k qui pourrait permettre à l’avenir de réduire drastiquement la taille des lunettes de réalité augmentée et d’atteindre un facteur de forme très proche de celui de lunettes classiques.

Au-delà des annonces et présentations de nouveaux matériels, les métavers qui se reposeront en partie sur ces technologies ne semblent pas aussi présents qu’annoncé dans les allées du LVCC Convention Center, même si le sujet reste assez répandu à l’Eureka Park du côté des start-ups. L’utilisation du mot “Metavers” n’est pas toujours utilisé à juste titre. Il y a bien quelques stands qui se démarquaient comme Lotte Group, Data communication, qui proposait de tester son futur métavers “Caliverse” sur PC, en RA tablettes et sur casques VR, et un certain nombre de propositions de métavers autour du spectacle et de la musique comme Melo-Scene ou la start-up française VRrOOm, qui lance sa nouvelle plateforme métavers proposant des spectacles en réalité virtuelle, présente au sein de la délégation French Tech venue en force cette année.
Les Startups sont également présentes en masse cette année à l’Eureka Park
La France est même la première délégation étrangère avec pas moins de 200 sociétés qui couvrent un spectre large allant de la santé, au métavers, à l’analyse d’image par IA jusqu’à la sourdine connectée pour clarinette. Impossible donc de les citer toutes…

A noter également la forte présence des délégations du Japon, de l’Italie, de la Suisse, d’Israël et d’une puissante délégation néerlandaise engagée sur le thématique de la «Responsible Tech».
Les écrans TV : Toujours plus grands et plus lumineux
OLED, QD OLED, Mini LED, Micro LED, Néo QLED… en 4K ou en 8K … Les écrans TV sont toujours à l’honneur avec des technologies d’affichages différentes selon les marques mais toujours au service d’une qualité d’image jamais égalée et d’un contraste saisissant.
Nouveauté cette année, les écrans sans fil et sur batterie qu’on pourrait presque accrocher partout.
LG annonce un écran 4K UHD de 97 pouces sans connectique grâce à un boitier distant « zéro connect », tandis que Displace TV propose un téléviseur OLED 55 pouces avec une autonomie annoncée d’un mois pour une utilisation moyenne de 6h par jour.
Le secteur de la santé est toujours bien représenté au CES et cette édition 2023 n’a pas dérogé à la règle
Parmi les différentes innovations remarquées dans le domaine de la santé, on notera celles de la société française Withings, déjà bien implantée dans le domaine de la santé connectée, qui a dévoilé cette année le produit « U-Scan », une nouvelle famille d’appareils connectés dédiés à l’analyse d’urine. Le dispositif, qui a nécessité 4 ans de travaux et pas moins de 13 familles de brevets déposés a reçu cette année un CES Innovation Award. Il permet l’analyse de biomarqueurs urinaires via une simple cartouche installée dans ses toilettes et dont les données sont envoyées sur une application mobile.
La société Abys Médical, basée à la Rochelle et au Canada, a présenté Surgiverse® , sa solution logicielle disponible sur casque de réalité mixte Hololens 2 qui offre aux chirurgiens une aide à la décision en permettant de visualiser un jumeau numérique sous forme d’hologramme avant ou pendant l’intervention. Ces produits seront distribués aux états unis avant l’Europe fin 2023.
La brosse à dents Y-Brush, fabriquée en France dans les usines lyonnaises, promet d’assurer un brossage rapide et efficace des dents en seulement 10 secondes, grâce à 3 500 filaments en Nylon combinés à une technologie de vibration sonique qui assurent un brossage de l’ensembles des dents sur toutes leurs faces. Ce dispositif, très médiatisé, a été primé par un CES Innovation Award.
Enfin, la société de biotech Aevice, basée à Singapour, a présenté son Stéthoscope portable « AeviceMD », alimenté par l’IA pour détecter les maladies respiratoires. Le capteur, qui analyse en permanence les fréquences respiratoires et cardiaques permet d’obtenir sur une application l’évolution clinique du patient entre chaque consultation.
Beaucoup de gadgets, mais un eu moins d’enthousiasme, voici peut être le résumé de cette édition 2023. Google qui s’est présenté comme une entreprise automobile, des voitures et bateaux électriques aux téléviseurs sans fil en passant par les derniers téléphones et tablettes et le métavers odorant, un large éventail d’innovations a été présenté au salon technologique CES de Las Vegas la semaine dernière. Certaines d’entre elles visaient à résoudre les grands problèmes du monde réel. D’autres visaient à rendre votre vie plus amusante. Et certaines d’entre elles étaient juste un peu excentriques.
Article mis à jour le 10 janvier 2023
Médias et Climat, Changement, Crise ou Catastrophe ? – Cahier de Tendances #21
Médias et Climat, la dystopie qui devient réalité
Kati Bremme, directrice Innovation & Prospective, Méta-Media, MediaLab de l’Information de France Télévisions
Le dilemme climatique des médias commence par le vocabulaire : changement, crise ou catastrophe climatique, quel mot choisir pour décrire les faits ? Le Guardian a publié son lexique du climat, qui affiche clairement la position du journal britannique : « C’est une crise, pas un changement ». Pour Jean-Marc Jancovici, le créateur du bilan carbone, nous ne sommes pas face à une crise, mais bien à une mutation de la société. Si on ne fait rien, « nous allons rôtir ».

L’année 2019, avant la pandémie mondiale, fut celle de tous les records en termes de climat. Les médias se sont alors enfin posé la question du traitement du climat face à l’incertitude — devenue certitude– avec l’été le plus chaud jamais mesuré et la commémoration par l’Islande d’un des plus grands glaciers d’Europe désormais disparu de son territoire. La certitude rencontra alors le devoir d’objectivité, voire même d’impartialité anglo-saxonne. 2019 fut aussi l’année qui a vu Greta Thunberg nommée personnage le plus influent de la planète par Time Magazine. Mais 2022 vient déjà de surpasser 2019 comme année la plus chaude, même si nous avons froid en ce moment. Et c’est bien là un autre problème de vocabulaire : la confusion entre météo et climat, qui perturbe le lien de cause à effet.
La difficile littératie des rédactions, et des publics
Comment expliquer le changement climatique si ce n’est à coups de photos de glaciers et boules de glaces fondant(e)s ? Face à la complexité du sujet climatique, les médias tendent parfois à le simplifier jusqu’à le caricaturer. Scientifiques du climat et journalistes n’ont ni la même temporalité ni le même vocabulaire.
Côté science, la recherche sur le climat ne date pas d’hier. En 1856, Eunice Newton Foote, scientifique amateure et célèbre suffragette (pour nommer une des nombreuses femmes rendues invisibles par les hommes), observe qu’« une atmosphère de ce gaz (…) donnerait à notre Terre une température élevée », et les premières grandes études scientifiques sur le réchauffement climatique datent de plus de quarante ans.

Aujourd’hui, lorsque les chiffres sortent de l’abstraction et que la réalité climatique devient tangible, le climat cesse d’être question scientifique. La façon dont les médias rendent compte du changement climatique est même devenu un domaine d’étude universitaire très actif et dynamique couvrant la fréquence à laquelle les médias traitent du changement, la façon dont cette couverture est présentée et la façon dont elle varie d’un pays à l’autre. La Plateforme Climate Feedback vérifie même les informations diffusées dans les médias.
Dès lors que le climat touche tous les éléments de notre société, il sort des rubriques secondaires, et implique désormais une réorganisation des rédactions bien décrite par Wolfgang Blau, co-fondateur de l’Oxford Climate Journalism Network, comme « la plus grande histoire de reconstruction depuis la Deuxième Guerre mondiale », et qui commence dès la formation des journalistes. Comment donner les moyens aux journalistes, et aux publics, de comprendre ? L’impartialité est-elle possible face aux fake news amplifiées par les réseaux sociaux ? Doit-on donner la parole aux climatosceptiques sur les plateaux télé ?
Pourquoi sommes-nous vulnérables face à ce sujet ?
Le climat est peut-être un des sujets qui suscitent le plus de fausses informations sur les réseaux sociaux, niant l’ampleur du réchauffement climatique en cours, ses implications ou son origine humaine. Moins qu’un déni (comme c’est le cas aux États-Unis), les fake news sur le climat en France tendent souvent à relativiser le changement climatique en cours ou à diminuer l’ampleur des changements nécessaires pour traiter la crise climatique.
Le sociologue Gérard Bronner, a décrit la « dérégulation du marché de l’information » qui se caractérise par une multiplication des sources d’information et par conséquent par une diffusion facilitée de fake-news, notamment sur l’état du climat. De nombreuses recherches en psychologie montrent que nous sommes non seulement tous vulnérables face à ces fausses informations mais qu’elles représentent aussi un des freins majeurs à l’engagement dans des actions permettant d’atténuer le changement climatique. Comprendre à quelles fins sont utilisées les fake news autour du climat est alors essentiel.
S’agit-il tout simplement d’un mécanisme de protection pour éviter l’angoisse de la catastrophe et « l’inconfortable contradiction entre nos comportements et l’urgence climatique », comme le décrit Pierre André, doctorant en philosophie, dans le magazine Le Un consacré au climat, ou s’agit-il d’un agenda politique conscient allant à l’encontre de toute notion de justice climatique ? Pour Nicole de Almeida , « le climatoscepticisme est une prime à l’inertie » et profite à ceux qui ne veulent pas changer.
Les réseaux sociaux, amplificateurs du bruit…
Facebook, Twitter et TikTok cultivent – et se nourrissent – d’une défiance nouvelle à l’égard de la communauté scientifique qui s’inscrit dans la crise de confiance envers toutes les institutions. Tout se vaut, tout peut se dire. Grâce aux réseaux sociaux, il y a une « gigantesque conversation qui s’est installée à l’échelle de la planète, où toutes les voix sont enrôlées : la voix des scientifiques, la voix des politiques […] et la voix des jeunes, des femmes. Un effet de boule de neige qui concourt à une cacophonie où tout et son contraire peut se dire », décrit Nicole de Almeida.
On le sait depuis longtemps : les algorithmes des réseaux sociaux chérissent les informations clivantes, plus encore quand elles sont fausses. Et il est désormais avéré que les réseaux sociaux ne font pas assez pour lutter contre la désinformation sur le climat. Un rapport publié en avril par l’association Avaaz et les branches étatsuniennes des Amis de la Terre et de Greenpeace a analysé les efforts des réseaux sociaux en regardant notamment si les plateformes travaillaient avec des experts pour identifier les fausses informations sur le climat, si elles avaient mis en place une politique claire pour réduire ces contenus, ou encore si elles suspendaient les comptes qui en propagent de manière régulière. Résultat : aucune d’entre elles n’a adopté de politiques suffisamment ambitieuses pour résoudre le problème. Facebook, Pinterest, Twitter, Tiktok et Youtube feraient par ailleurs preuve d’un manque cruel de transparence, et « dissimuleraient » leurs données sur l’ampleur du phénomène.

…Mais aussi outil pour se faire entendre
Selon une étude du Pew Research Center, les utilisateurs de médias sociaux de la Gen Z et les millenials s’intéressent davantage au contenu relatif au changement climatique et y réagissent plus vivement. Parmi les utilisateurs américains de médias sociaux, 45 % des adultes de la génération Z et 40 % des Millennials ont interagi avec du contenu sur les plateformes sociales qui mettait l’accent sur la nécessité d’agir contre le changement climatique en suivant un compte, en aimant ou en commentant une publication, ou en publiant ou en partageant du contenu sur la nécessité d’agir contre le changement climatique.
Une proportion beaucoup plus faible d’utilisateurs de médias sociaux de la génération X (27 %) et des baby-boomers et plus âgés (21 %) ont interagi avec du contenu sur le changement climatique de l’une de ces manières. TikTok a bien compris que le climat génère de l’engagement auprès de ses utilisateurs et met en avant ses activités green à l’occasion de la COP27.

Un nouveau Green Deal pour les médias
Des dizaines de grandes entreprises mondiales — des banques aux poids lourds de l’industrie — ont fait des déclarations audacieuses sur le climat, justifiées par des compensations bon marché en matière d’énergies renouvelables qui ne contrecarrent pas le réchauffement de la planète. Pour les médias audiovisuels, en pleine transformation numérique accélérée entre TV, replay, SVoD, TVoD, BVoD, AVoD, FVoD, HVoD, FAST, VoL, Social Video, Web0, Web1, Web2 et Web3, se pose désormais la question de leur impact écologique. Il y a onze ans, un ingénieur de la BBC a eu l’idée d’enregistrer leur empreinte carbone, et il a conçu la version originale du calculateur de carbone que le label gratuit Albert propose aujourd’hui.
La prise de conscience climatique des médias ne se transcrit pas seulement dans les contenus, mais aussi dans le contenant, y compris chez les acteurs historiques de l’audiovisuel. Radio France vient d’annoncer son tournant environnemental, et France Télévisions et son partenaire allemand WDR ont lancé en 2021, NOWU, une nouvelle offre digitale interactive pour permettre aux jeunes Européens de devenir acteurs face au défi majeur de demain. Mais à l’opposé de ces initiatives, on trouve aussi de plus en plus de manœuvres de greenwashing autour de l’objectif zéro carbone. « Le blanchiment écologique est le nouveau déni du climat », a déclaré Laurence Tubiana, directrice du groupe philanthropique European Climate Foundation.

La transformation numérique responsable, le dilemme du prisonnier
Décélération, décroissance, déconnexion – faut-il enlever les smartphones aux jeunes ? Le chercheur Jean-Paul Maréchal a décrit le « dilemme du prisonnier planétaire » : Face à la menace qui se précise et aux signes annonciateurs qui se multiplient, une conclusion s’impose : nous avons tous, collectivement, intérêt à endiguer le dérèglement climatique en cours. Mais une autre évidence s’impose également avec pas moins de force : nous avons tous aussi intérêt, en vue de maximiser notre bien-être à court terme, à perpétuer des habitudes de consommation avides d’énergies fossiles. « Et c’est ainsi que chacun – États et particuliers, riches et pauvres – finit, avec ses excellentes raisons d’homo œconomicus, par être déraisonnable… au plus profond du rationnel ».
L’innovation, peut-elle sauver le monde ou est-elle en train de précipiter son déclin ? Même si le réseau cellulaire 5G est vingt fois plus écologique que son prédécesseur – a-t-on pour autant besoin de l’ultra-HD qui nécessite dix fois plus de données que la qualité HD, à savoir 7 000 mégaoctets contre 700 mégaoctets par heure, pour une différence difficilement perceptible à l’œil nu ?
Le Métavers peut-il être méta-vert ?
Le Métavers, ou l’avènement d’un Internet 3D temps réel immersif permanent pose plus que jamais la question de l’impact du numérique. Deux rapports du Shift Project et du collectif Green IT estiment que le numérique représentait en 2019 environ 4 % des émissions mondiales de Gaz à Effet de Serre (GES) avec une croissance de presque 6 % par an. À ce niveau d’impact, effacer nos courriels et couper le WiFi ne paraît plus suffisant face aux enjeux, en l’occurrence une baisse de 5 % par an des émissions d’ici 2050. Surtout si l’on ajoute aux émissions (qui constituent 11 % de l’empreinte du numérique en France) l’impact sur les ressources abiotiques (52 % de l’empreinte du numérique en France).
D’un autre côté, la substitution, les jumeaux numériques et les expériences immersives du Métavers pourraient apporter des avantages en termes de durabilité. Si la durabilité environnementale est d’une importance capitale, la durabilité sociale l’est tout autant. En pleine anticipation d’une vague de solastalgie, le Métavers peut-il sauver le monde, à l’instar de l’île de Tuvalu qui vient de se transposer dans sa version virtuelle pour alerter sur la montée du niveau des océans ? Remplacer les biens physiques et les expériences du monde réel, qui consomment beaucoup de ressources, par des alternatives numériques et virtuelles dans le métavers serait-il la solution ?

Dans une récente conférence, Le Hub France IA a, de son côté, abordé plusieurs pistes pour une Intelligence Artificielle responsable autour des idées de réduction de taille des données, d’amélioration de la qualité, et surtout de mutualisation et de libre accès pour raisonner leur exploitation. IQM, leader européen de l’informatique quantique, vient aussi de lever 128 millions d’euros pour contribuer à la lutte contre la crise climatique.
Mais face aux crises qui bouleversent le monde et nos sociétés, la sobriété s’impose : l’eurodéputée et économiste française Aurore Lalucq vient de déclarer qu’en « temps de guerre, l’énergie ne doit pas être gaspillée par les cryptoactifs. Elle doit servir à se chauffer, s’alimenter correctement et maintenir notre tissu productif européen. Après avoir dressé ces priorités, la question du minage est encore très loin sur la liste ». Pour L’écrivain et journaliste Robert Solé, la sobriété relève d’une échelle de 1 à 7 : « mesure, modération, tempérance, frugalité, austérité, abstinence, ascétisme ». Loin d’être une progression dans la souffrance, la sobriété devra plutôt aider à contenir notre écoanxiété pour la remplacer par des solutions.
Les journalistes peuvent-ils sauver le monde ? Il ne s’agit plus d’ajourner l’incertitude, le changement climatique étant désormais une certitude. Plus personne ne peut en ignorer les conséquences graves et concrètes sur l’environnement, l’économie et la vie humaine. Face aux fake news climatiques sur les réseaux sociaux, chacun doit devenir un peu journaliste et faire son travail d’investigation : recoupement des sources, recherche d’une pluralité des sources. La compréhension que les gens ont du changement climatique étant davantage façonnée par les médias et leur « cacophonie de voix » que par les enquêtes et les efforts systématiques des climatologues, l’action des médias est déterminante.
Ce cahier s’efforce à analyser le rôle des médias dans le récit climatique, en indiquant des formats et outils disponibles pour faire comprendre et en soulevant, entre autres questions, celle de la possibilité d’une virtualisation responsable de notre monde.
Un grand merci à tous les collaborateurs !
Bonne lecture !
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Les collaborateurs de ce numéro #21 : Olivier Aballain, Wolfgang Blau, Gautier Curtil, Carole Davies-Filleur, Pascal Doucet-Bon, Nicolas Dufrêne, Maxime Efoui-Hess, Hannah Fairfield, Louise Faudeux, Yann Ferguson, Marcus Foth, Fatine Gadri, Gabrielle Halpern, Myriam Hammad, Nick Kelly, Diana Liu, Victor Lepoutre, Hemini Mehta, Léa Nogier, Isya Okoué Métogo, Sophie Roland, Saffron O’Neil, Evarestos Pimplis, Arnaud Vincenti, Philippe-Vion Dury, la rédaction de Vivant le Média, Thomas Wagner.
Image de couverture du Cahier : Jean-Christophe Defline
Sur TikTok, les médias tentent de préserver les jeunes de la désinformation en explorant de nouveaux formats
De plus en plus de jeunes utilisateurs se rendent sur la plateforme pour s’informer. Pour répondre à ce besoin, les journalistes des rédactions du monde entier s’essayent à de nouveaux formats. Leur objectif est notamment de parler à un public plus large et lutter contre la désinformation, rappelle un rapport du Reuters Institute.
Par Victor Lepoutre, Direction de l’Innovation
Comment les médias traitent-ils l’actualité sur TikTok? C’est la question à laquelle le Reuters Institute a tenté de répondre dans son Digital News Report 2022, publié le 8 décembre dernier. Aujourd’hui, près de la moitié des médias (49%) publieraient régulièrement sur cette application lancée par l’entreprise chinoise ByteDance en 2018. Une majorité d’entre eux seraient pourtant encore novices, ayant rejoint TikTok dans les 12 derniers mois. De leur côté, les utilisateurs de TikTok sont toujours plus nombreux. Boosté par la crise du Covid et les confinements successifs, la plateforme aurait atteint plus d’un milliard d’utilisateurs actifs mensuels en septembre 2021 selon ses propres chiffres. C’est 45% de plus que l’année précédente.
Les jeunes de la GenZ sont les plus grands adeptes de ce réseau social né dans le but de promouvoir des vidéos divertissantes, créées par ses utilisateurs. Selon le rapport du Reuters Institute, 40% des 18-24 ans utiliseraient l’application de façon régulière… et aujourd’hui 15% d’entre eux se connectent à TikTok dans le but de s’informer. Même tendance chez les 25-34 ans, ils sont 30% à s’y rendre régulièrement et 10% à l’utiliser pour se tenir au courant de l’actualité.
Quand l’actualité s’invite sur TikTok
Ces dernières années, de grands événements sociétaux et géopolitiques tels que Black Lives Matters, la crise du covid ou plus récemment la guerre en Ukraine ont invité l’actualité sur TikTok. De même, le réseau social a évolué et permet aujourd’hui de diffuser des vidéos plus longues et en direct. Une aubaine pour SkyNews qui a retransmis en direct les funérailles de la reine Elizabeth II en septembre et obtenu 16 millions de vues, propulsant ainsi TikTok au rang des premières plateformes digitales de la chaîne, à égalité avec YouTube. D’autres médias, comme la chaîne publique allemande ARD, ont choisi TikTok pour “transformer leur marque auprès d’un public plus jeune et informer la société dans son ensemble” comme le rappelle Patrick Weinhold, le chargé des réseaux sociaux pour le programme Tagesschau, le journal télévisé de la chaîne. Pour répondre aux codes de la plateforme, Patrick Weinhold à choisi de mêler information et divertissement. Il propose, par exemple, du contenu permettant aux utilisateurs de TikTok de découvrir les coulisses de la rédaction. “Notre image de marque provient d’un cadre télévisuel traditionnel, basé sur un studio. Nous voulions la rendre plus légère, plus interactive et plus personnelle” rappelle-t-il.
Lutter contre la désinformation
Si les médias sont de plus en plus nombreux à informer sur TikTok, le Reuters Institute rappelle que l’actualité présente sur le réseau social reste largement diffusée par du contenu produit par des influenceurs, des activistes ou d’autres utilisateurs. Un fait qui inquiète sur la qualité de ces informations et la possible présence de désinformation et de fake news. Dans ce cadre, le Washington Post a choisi d’orienter sa stratégie autour du fact-checking. Au début de la guerre en Ukraine, la rédaction a identifié la publication de nombreuses fausses vidéos. Elle encourage désormais les utilisateurs à tagger le compte quotidien américain afin que l’équipe de fact-checking puisse vérifier l’authenticité des publications. “Nous nous efforçons d’être une figure d’autorité sur la plateforme en aidant les utilisateurs à distinguer le vrai du faux » explique Dave Jorgenson, l’un des premiers journalistes à avoir investi TikTok.
Créatifs, rédacteurs et correspondants: trois approches différentes sur TikTok
Dans leur découverte de TikTok, les médias ont chacun adopté une identité propre dans le contenu qu’ils publient. Le Reuters Institute identifie trois approches principales dans la création de publications TikTok: l’œuvre d’un seul créateur, un effort de groupe au sein de toute une rédaction, et l’existence de comptes propres aux correspondants.
Avoir un seul créateur aux manettes
Donner la responsabilité à un créateur de produire l’ensemble des publications TikTok permet aux médias de créer un contenu authentique et conforme aux codes de la plateforme. Le défi consiste à trouver un équilibre entre la personnalité du créateur et la marque qu’il tente de représenter. Dans cet exercice, le Washington Post s’illustre à nouveau. Le quotidien avait au départ embauché Dave Jorgenson pour faire des vidéos légères sur Youtube, c’est finalement sur TikTok que celui-ci officie. Grâce à son contenu original, le journaliste a permis au quotidien vieux de 144 ans, d’exister au sein du jeune réseau social. Pour cela, il n’hésite pas à traiter l’information avec humour. A l’occasion d’Halloween, il a par exemple abordé le sujet de la “réduflation”, (tendances qu’ont certaines marques à réduir la taille d’un produit pour minimiser les effets de l’inflation) en questionnant ses conséquences sur la chasse aux bonbons des enfants. Son conseil: “vous devez penser comme quelqu’un qui crée des TikToks, pas comme quelqu’un qui a fait des vidéos pour Facebook ou pour YouTube. Ce réseau social est très spécifique”.
L’effort de groupe d’une rédaction
Dans certaines rédactions, c’est toute l’équipe qui participe à la production de contenu pour TikTok. La plateforme devient, dans ce cas, un canal de diffusion additionnel. C’est le cas, on l’a vu pour SkyNews qui utilise la plateforme pour diffuser en direct, mais aussi pour Vice World News. Le média, entièrement numérique et présent sur TikTok depuis fin 2021, se concentrait au départ sur la production de vidéos explicatives sur les grands thèmes d’actualité. Mais le début de la guerre en Ukraine a réellement permis au compte de Vice de gagner en visibilité. Dans les premiers jours de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une vidéo d’un correspondant marchant dans les rues de Kiev a récolté 21,6 millions de vues et permis au compte TikTok de Vice World News de décoller. Le reportage sur le terrain a toujours été au centre de l’ADN de Vice, mais la rédaction a su l’adapter au champ d’attention plus court des utilisateurs de TikTok: « Ce à quoi nous pensons la plupart du temps, c’est au plan et à la phrase d’ouverture« , explique Matthew Champion, rédacteur en chef de Vice en Europe, Afrique et Moyen-Orient. “Nos vidéos explicatives commencent toujours par une question, cela attise la curiosité des gens et ils choisissent de regarder la vidéo”.
Les comptes de correspondants
Si les comptes de journalistes individuels, tels que les correspondants, sont courants sur des plateformes comme Twitter, ils sont relativement rares sur TikTok, rappelle l’étude. Le présentateur de CNN Max Foster a été l’un des premiers journalistes à rejoindre TikTok, dès 2019. Après avoir vu ses enfants s’informer sur la plateforme, le présentateur de la chaîne d’actualité en continu s’est d’abord étonné de trouver autant de jeunes vlogueurs et influenceurs traitant d’actualité. Il s’est aussi alarmé de la mauvaise qualité de l’information qu’ils prodiguaient. Sur TikTok, Max Foster s’est donc donné pour objectif d’informer de manière simple « à la fois sans présumer des connaissances de ses auditeurs, mais aussi en simplifiant sans abrutir” explique-t’il. Ainsi, la plupart de ses vidéos sont très courtes et visent souvent à répondre à une question simple. Son dernier succès en date, “que sont devenus les corgis de la reine?” a été visionnée 4,1 millions de fois.
Les initiatives des médias sur TikTok sont donc diverses et variées, et les créateurs sont unanimes: il n’existe pas de recette miracle pour réussir sur la plateforme. Que la production des publications soit l’œuvre d’une personne ou de toute une rédaction, l’important semble de produire un contenu court, accessible et engageant. L’attention de l’utilisateur doit être captée dès les premières secondes. A l’avenir, le rapport souligne s’attendre à ce que les vidéos TikTok soient plus longues que la moyenne actuelle de 30 à 60 secondes. Ainsi les médias pourront produire un contenu plus complet qui répondra aux besoins de plus en plus nombreux d’un public TikTok de moins en moins jeune. Les médias étant de plus en plus présents sur la plateforme, l’attention des utilisateurs sera également de plus en plus difficile à capter. Les journalistes et les rédactions devront donc faire preuve d’une originalité toujours plus grande en continuant de découvrir et d’explorer de nouveaux formats. Une tendance qui pourrait bien s’appliquer au journalisme dans son ensemble bien au-delà de TikTok et ses vidéos divertissantes.
Photo par Árpád Czapp sur Unsplash
Slush 2022, trois crises et un métavers
Dans l’obscurité finlandaise du mois de novembre, le motto de Slush, le Vivatech des pays nordiques, était cette année le « Break of Dawn », l’aube. L’année dernière, ce n’était « que » la pandémie mondiale qui avait impacté le secteur de la tech et des investissements. Cette année s’y ajoutent deux crises supplémentaires : la guerre en Ukraine, et avec elle, la crise énergétique. Sur fond de crypto winter en ce début de saison froide en Finlande, même les start-ups doivent se serrer la ceinture : l’accent est désormais, comme pour les géants de la tech qui sont en train de dégraisser leurs entreprises, sur la rentabilité.
Par Kati Bremme, Direction de l’Innovation
Avec 4600 fondateurs de startup (la France a envoyé 37 startups) qui rencontrent 2600 investisseurs, Slush est le plus grand rassemblement de capital-risque au monde. Et les 12000 participants ont même pu assister à au moins un des deals en direct : le gagnant du concours de pitch Slush 100 reçoit un investissement d’un million d’euros de la part de cinq investisseurs de renom. Parmi les intervenants figuraient cette année la Première ministre finlandaise, Sanna Marin, le PDG de Revolut, Nikolay Storonsky, John W. Thompson, associé de Lightspeed Ventures, Max Levchin, un des fondateurs de Paypal ou encore Emmett Shear, cofondateur et PDG de Twitch.
La rentabilité d’abord
Avec la hausse des taux d’intérêt, il devient plus coûteux de financer de nouvelles entreprises, ce qui affecte notamment de nombreuses entreprises technologiques. Dans le secteur technologique, l’accent était jusqu’à présent mis sur la croissance, mais les entreprises doivent désormais changer de cap et s’assurer qu’elles deviennent rentables. Si en période de prospérité, le mot clé était la croissance, c’est maintenant la rentabilité, dit Johannes Shildt, PDG de Krys.
Mais selon Factset, les investissements en capital-risque n’ont pas connu la crise en 2021 et ont augmenté dans chaque grande région par rapport à 2020. En Amérique du Nord et en Europe, l’activité d’investissement a plus que doublé, tandis que les investissements en capital-risque en Asie ont augmenté de 61,5 %. L’activité au début de 2022 n’a pas tout à fait atteint les niveaux de 2021, mais est restée forte. Les startups européennes, par exemple, ont levé 58,6 milliards de dollars, ce qui représente le deuxième semestre le plus élevé pour les investissements en capital-risque après le premier semestre 2021. Cependant, au troisième trimestre 2022, le montant des fonds de capital-risque levés dans le monde a baissé de 37 % par rapport au deuxième trimestre 2022, ce qui reflète les défis macroéconomiques auxquels nous sommes actuellement confrontés.
Doug Leone, capital-risqueur milliardaire, Partner chez Sequoia, a résumé la situation économique ainsi : « La situation ici aujourd’hui, je pense qu’elle est plus difficile et plus stimulante que celle de 2008, qui était vraiment une crise protégée des services financiers, ou de 2000, qui était une crise technologique protégée. Ici, nous sommes confrontés à une crise mondiale. Les taux d’intérêt augmentent dans le monde entier, les consommateurs commencent à manquer d’argent, il y a une crise de l’énergie et les problèmes géopolitiques. Et ma prévision est que nous n’allons pas nous en sortir très rapidement. »
James Vincent, associé fondateur et PDG de FNDR (qui a lancé les marques de Steve Jobs, Brian Chesky et Evan Spiegel) a quand même profité de Slush pour lancer le premier fonds de capital-risque axé sur la narration. Le fonds FNDR prendra ses décisions d’investissement en suivant trois principes fondamentaux : Significatif et Important, Proximité (FNDR co-construit l’histoire de la marque), profit et valeur humaine : »Nous avons le privilège d’être aux premières loges et d’avoir des échanges intimes avec certains des fondateurs les plus transformateurs du monde », a déclaré Vincent. « Cette interaction a conduit à des invitations personnelles à s’investir dans leur succès, ce qui a conduit à la création du Fonds FNDR. »
Nicolas Cary, le cofondateur et vice-président de Blockchain.com, a évoqué le côté positif de cet « hiver de la crypto » en se moquant un peu des « cryptotouristes » anéantis par les récents crashs. Comme pour l’athlétisme, selon cet expert, il n’existe pas de shortcut pour devenir expert en crypto. Les difficultés financières, les crypto-monnaies et les DeepTech sont quelques-unes des tendances du salon technologique de cette année à Helsinki. Les percées technologiques changeront nos vies au cours de la prochaine décennie à l’instar de Polestar Precept, un concept car qui est présenté pour la première fois en Finlande, en plein cœur de Slush, et Einride veut s’attaquer au marché de 4 trillions dollars du cargo routier en remplaçant par des véhicules électriques.
Pourquoi la Finlande ?
Malgré les crises, la Finlande, qui s’intègre dans les « Nordiques » mais un peu moins dans les pays scandinaves (uniquement quand cela l’arrange), reste un pays avec un esprit entrepreneurial particulièrement développé qui combine technologie et qualité de vie. Avant la pandémie, le Restaurant Day permettait par exemple à tout un chacun de lancer un restaurant éphémère pendant un jour en plein Helsinki. Slush a été fondé par des étudiants, et la plupart d’entre-eux ont créé leur(s) propre(s) startup(s), ou sont passés du côté de l’investissement. En 2021, les startups finlandaises ont battu les records précédents et ont levé un total de 1,2 milliard d’euros de capitaux. En novembre 2022, les startups finlandaises ont déjà dépassé les chiffres de l’année dernière : le montant total des capitaux propres levés est supérieur à 1,3 milliard d’euros.
La Finlande est aussi un pays, où recherche, tech et investissements d’entreprises sont étroitement liés : l’Université d’Helsinki et Helsinki Innovation Services Ltd (HIS) ont présenté 16 innovations et entreprises dérivées fondées sur des recherches menées à l’Université. Dans le cadre du programme « Incubateurs de campus », la Ville d’Helsinki aide les établissements d’enseignement supérieur de la capitale à créer et à maintenir des incubateurs sur leurs principaux campus. Les incubateurs sur les campus visent à réunir la recherche finlandaise de pointe, les nouvelles idées des étudiants et le solide écosystème de startups d’Helsinki. Le programme Campus Incubators vise à créer 100 nouvelles entreprises par an, à soutenir le développement des campus en pôles d’innovation et d’activité commerciale et à accroître l’attractivité d’Helsinki aux yeux des experts internationaux.
« Helsinki veut être le meilleur endroit où faire des affaires pour les entreprises en croissance. Notre objectif est d’être la première plateforme d’expérimentation et d’innovation d’Europe d’ici 2025. L’une des questions clés est de savoir comment nous parvenons à attirer les talents dont nous avons tant besoin à Helsinki, et la réputation de Slush joue un rôle important à cet égard. Nous partageons également l’objectif d’une croissance durable, et Helsinki veut être une ville dont la croissance améliore également le monde« , déclare Marja-Leena Rinkineva, directrice du développement économique de la ville d’Helsinki.
Nokia, dont l’effondrement il y a dix ans était l’une des raisons pour l’effervescence de startups dans le grand Nord, est de retour avec un grand stand pour présenter non plus des téléphones, mais des caméras intelligentes, qui combinent cloud et apprentissage automatique pour un usage IoT, et un logiciel de son spatial intégrable dans n’importe quel smartphone qui permet une immersion dans l’environnement de la personne avec qui on parle (la démo est enregistrée par Sir David Attenborough qui se promène dans une forêt) le tout développé par Nokia Bell Labs. Une troisième solution, Real-time eXtended Reality Multimedia (RXRM) est un logiciel qui ouvre les possibilités de capture vidéo à 360° et audio spatiale en 3D pour les communications industrielles et les applications commerciales.
Le métavers européen
ZOAN est passé du statut de startup à un employé à celui de studio de VR avec des opérations et des employés sur trois continents. Miikka Rosendahl & Laura Olin misent sur le « Heritage Metavers », un métavers qui rend accessibles des villes ou l’histoire depuis n’importe où. C’est Zoan qui a travaillé sur la version virtuelle de la ville de Helsinki, Virtual Helsinki ou encore sur Göteborg. L’entreprise compte aujourd’hui 650 projets avec Unreal Engine. Avec Cornerstone ils lancent leur propre métavers photoréaliste couplé à un modèle économique basé sur la blockchain, imaginé par des experts économistes : les propriétaires qui créent le plus d’interaction et génèrent le plus d’engagement et de contenu obtiendront le jeton d’énergie pour gouverner ce monde virtuel dont le principe de base est « de ne pas nuire à la planète ou à l’esprit humain« .
Des contenus désormais créés à l’aide d’Intelligence Artificielle. Grâce au Pixel-Streaming d’Unreal, ce métavers est accessible depuis un ordinateur ou un smartphone. A l’occasion du dernier Festival de Cannes, l’entreprise avait rencontré Thierry Breton en lui suggérant que « l’industrie européenne des métavers a besoin d’au moins 1 milliard d’euros d’investissements pour devenir compétitive. » En septembre, la Commission européenne avait présenté son « plan d’attaque » sur le métavers, « People, technologies & infrastructure ». Un terrain coûte 1 Ether, et en décembre ils lancent leur propre collection d’avatars. Interrogés sur l’accessibilité et les opportunités pour le service public, l’entreprise propose aussi un système de location de terrain.
Marimekko, la marque finlandaise par excellence, a préféré se lancer dans le métavers de Decentraland à l’occasion de Slush : « Nous considérons le monde virtuel comme un continuum de notre réalité physique et nous pensons qu’à l’avenir, une manière durable de faire des affaires sera soutenue par l’utilisation des possibilités offertes par le monde virtuel et les technologies émergentes et perturbatrices« , a déclaré Suvi-Elina Enqvist, responsable de l’unité Innovation Works de Marimekko. Une approche numérique qui exploite les salles d’exposition virtuelles, les vitrines et les versions des vêtements pour les médias sociaux pourrait en effet finir par constituer une solution pragmatique à certains des problèmes de durabilité du secteur de la mode et du retail.
Enfin pour Sébastien Borget, le fondateur de The Sandbox, le métavers doit être ouvert : la véritable propriété des actifs numériques est un droit de l’homme, tout comme pour les actifs physiques. Du côté des avatars, Dima Shvets, fondateur de l’appli à succès REFACE, a lancé à Slush son projet Metahead de rendu 3d sans équipement ni compétences particulières pour générer un avatar à partir de son smartphone.
Souveraineté européenne
La commissaire européenne à l’Innovation Mariya Gabriel a profité de Slush pour annoncer les mesures destinées à soutenir les deeptechs du continent, ces startup qui développent des technologies de rupture, gourmandes en capitaux et en cerveaux scientifiques : « En 2021, nous avons doublé le nombre de licornes européennes, passant de 44 à 89. Tout cela est très encourageant et nous devons tous nous appuyer sur cette force« , a indiqué la commissaire, avec l’objectif affiché que l’Europe devienne un leader dans la deeptech.
#Slush2022 Europe : de la co-création à la co-implémentation, @GabrielMariya annonce 5 programmes phares et 25 actions :
1 – Scaling up
2 – Sandboxes
3 – Cohésion
4 – Talents
5 – Data
en détail pic.twitter.com/Jdb2WmRcnU— Méta-Media FranceTV (@metamedia) November 17, 2022
La première ministre Sanna Marin a de son côté évoqué l’importance d’investir dans la numérisation des secteurs public et privé en Europe, car la société sera de plus en plus numérique à l’avenir. Citant l’exemple de la Russie, le Premier ministre finlandais a également (plusieurs fois) souligné que si nous ne devrions pas couper tous les liens économiques, nous ne devrions pas dépendre de régimes autoritaires pour des éléments essentiels comme l’énergie. En outre, le Premier ministre finlandais a évoqué le rôle du gouvernement dans la création d’un environnement propice à l’innovation et a expliqué que la Finlande a conclu un accord parlementaire – ce qui signifie que les membres de son parti et des partis d’opposition se sont mis d’accord – pour consacrer jusqu’à 4 % du PIB de la Finlande à la R&D et à l’innovation et a déclaré que si tous les pays européens faisaient de même, l’Europe gagnerait la course mondiale. Elle a également souligné la nécessité de partenariats entre les secteurs privé et public pour atteindre l’objectif de R&D de la Finlande.
Le quantique européen – L’informatique quantique représente un changement de paradigme potentiel dans la façon dont nous traitons l’information et pourrait résoudre des problèmes impossibles à résoudre avec les ordinateurs classiques. Il faudra au moins une décennie pour y parvenir, ce qui nécessite des millions de qubits, ou unités de traitement quantique. Les processeurs quantiques les plus rapides actuellement disponibles n’ont pas encore dépassé les mille qubits. Nous avions déjà rencontré l’année dernière IQM qui fabrique des ordinateurs quantiques européens. La startup finlandaise vient de signer un accord avec Atos, au bout d’un partenariat depuis 2020, quand IQM avait été sélectionné pour faire partie de Scaler, le programme d’accélération d’Atos. IQM vient de présenter l’unimon, un nouveau type de qubit supraconducteur.
(1) Our new « State of Quantum 2022 Report » reveals.
– 63% of business leaders believe commercialised quantum computing to hit the market in five years.
Discover more insights here: https://t.co/GEninYoRha pic.twitter.com/kDuA4ejbfV
— IQM Quantum Computers (@meetIQM) November 16, 2022
Un des champs d’applications du quantique sera la recherche pharmaceutique. La startup Algorithmiq a présenté à Slush sa solution Aurora, qui veut utiliser des ordinateurs quantiques pour la découverte de médicaments.
Les nouveaux réseaux sociaux
Malgré toute leur popularité, les plateformes de médias sociaux Web2 présentent des inconvénients. Les utilisateurs ne sont pas récompensés pour leur participation ou leur fidélité. Les créateurs de contenu ne sont pas propriétaires de leur contenu ou de leur public. Les options de monétisation du contenu sont limitées. Et les algorithmes sont conçus pour maximiser les profits des plateformes de médias sociaux et diffusent souvent des préjugés et des informations erronées.
Stani Kulechov, star locale fondateur d’Aave (et ancien bénévole de Slush), veut amener les réseaux sociaux dans le web3 avec Lens Protocol basé sur la blockchain Polygon.
Welcome @VitalikButerin to @LensProtocol grass is greener in web3 social genesis post for collect as a proof of fun https://t.co/hoLKV9c8Rx pic.twitter.com/Z7p0z9vtex
— Stani.lens (,) (@StaniKulechov) November 18, 2022
Pour lui, le web3 n’est pas une plateforme, mais un protocole sur lequel chacun pourra construire son réseau. Emmett Shear, cofondateur et PDG de Twitch, se pose aussi les questions très ‘économie de créateurs’ « Comment mettre plus d’argent dans les poches des streamers ? Comment rendre les choses plus équitables ? »
Harjas Singh, Chief Product Officer chez Shares, l’appli d’investissement sociale et communautaire qui permet aux familles et aux amis d’investir ensemble, a annoncé que sa plateforme allait s’étendre dans les pays nordiques, en se lançant d’abord en Suède. Bien qu’elle n’ait été fondée qu’en 2021, la société, dont le siège est à Paris et à Londres, a déjà levé plus de 90 millions de dollars de fonds. Harry Stebbings, fondateur de 20VC et Tom Hulme, Google Ventures, ont échangé autour de l’influence de TikTok sur le storytelling : « Grâce à Tiktok, nous nous concentrons davantage sur les histoires. » Pour Stebbings, TikTok est la meilleure plateforme B2B depuis l’e-mail.
Nicolas Cary, de blockchain.com, a, de son côté, imaginé un nouveau protocole « qui vous récompense pour votre attention : une plateforme de médias sociaux décentralisée qui échange des jetons d’attention » au lieu de traquer les données personnelles.
Le gagnant du Slush 100
Sur fond de licenciements massifs dans le secteur de la tech, la startup gagnante du concours Slush 100 prend tout son sens : elle aide à relocaliser les talents en automatisant un maximum de tâches administratives. Un million d’euros ont été attribués à la start-up gagnante Immigram, l’investissement de SAFE provenant d’Accel, General Catalyst, Lightspeed, NEA et Northzone qui ont chacun soutenu certaines des réussites technologiques les plus emblématiques de notre époque – Meta, Stripe, Airbnb, Snap, Spotify, Slack, Instacart, Hubspot, Uber, ByteDance, Salesforce, Klarna…
« Slush 100 est une manifestation exceptionnelle d’ouverture et d’allié en faveur de l’écosystème des start-up. Jamais auparavant un groupe de sociétés de capital-risque de ce calibre n’avait engagé de capitaux dans un programme européen de création d’entreprises – sans parler d’un programme qui profite aux premières étapes de l’écosystème« , a déclaré Eerika Savolainen, PDG de Slush. La guerre en Ukraine vient d’ailleurs de rattraper Slush, qui a décidé de revenir sur sa décision controversée d’attribuer à Immigram, cette startup fondée par deux citoyens russes, le premier prix de son concours de pitching.
Les nouveaux gatekeepers, selon Benedict Evans
Pendant que Daniel Metzler, PDG et cofondateur d’Isar Aerospace, veut nous donner un accès low cost à l’espace, Benedict Evans, comme chaque année, ramène les tendances tech sur terre. Au milieu de cette crise, les gros poissons deviennent des petits poissons – les fournisseurs d’autrefois deviennent des concurrents.
S’agissant du métavers et du web3, Evans reste sur sa position de l’année dernière : « I have no idea what people are talking about »… Le matériel de réalité augmentée et de réalité virtuelle va s’améliorer, mais « who cares? » On verra dans dix ans…
Liens vagabonds : Twitter, what’s happening ?
A RETENIR CETTE SEMAINE :
Twitter, le feuilleton vire au drame – La première semaine d’Elon Musk à la tête de Twitter s’achève sur une vague de licenciements. Ingénierie, relations publiques, modération ou encore communication, vendredi, à 9 heures, heure de San Francisco, près de la moitié des salariés ont reçu un e-mail les informant que leur poste était supprimé. Certains avaient compris leur sort dès la soirée de jeudi: leurs accès aux outils internes de l’entreprise avaient été désactivés. Twitter est déjà poursuivi pour avoir procédé à ces licenciements massifs sans préavis suffisant. Pendant toute la semaine les (mauvaises) nouvelles sur l’oiseau bleu se sont bousculées : 8 Dollars pour maintenir son compte vérifié, le symbole ultime du statut social sur Twitter, moins de modération, et ceci en pleine période de Midterms aux Etats-Unis, accès payant à certaines vidéos, Néo-nazis, antisémites et le mot en « N », voici à quoi ressemble Twitter après quelques heures sous Elon Musk.
Dear Twitter Advertisers pic.twitter.com/GMwHmInPAS
— Elon Musk (@elonmusk) October 27, 2022
Pour Twitter, les choses ne semblent qu’empirer. Posséder Twitter signifie posséder une foule de problèmes politiques. Elon Musk est-il prêt ? Elon Musk a déclaré au New York Times que son entreprise rapporterait 1,2 milliard de dollars en recettes de (micro)paiements d’ici 2028. Mais Twitter, autrefois une menace pour les titans, appartenant désormais à l’un d’eux, fait déjà face à l’exode des annonceurs et des cadres. Faut-il passer sur Mastodon ? Ou sur Bluesky Social, le nouveau réseau social du fondateur de Twitter, Jack Dorsey ? Ou est-ce que Rumble serait l’avenir des réseaux sociaux (sic) ? On va devoir commencer à imaginer la vie après Twitter.
Le TikTok Game, « wait and see » – La semaine dernière, le Financial Times avait avancé un scoop : TikTok intégrerait un onglet Gaming dans son appli. Une annonce finalement démentie cette semaine à l’occasion de l’événement TikTok Made Me Play, peut-être aussi pour éviter des frictions avec Apple, dont la politique interdit aux applications de l’App Store d’inclure des lots de jeux. En attendant, TikTok se met en avant comme LA plateforme de promotion du gaming : les créateurs sélectionnent de courts extraits de livestreams existants et les postent sur TikTok. Selon la page de découverte « Gaming » de l’application, il existe au moins 187,7 milliards de courtes vidéos liées aux jeux sur TikTok. TikTok était aussi présent à la Paris Games Week cette semaine à Paris, où le secteur des jeux, en légère difficulté, s’est retrouvé après 3 ans d’absence. Le gouvernement français y a affiché son engouement pour le secteur vidéoludique, et le gaming sait même attirer la culture.
Enfin, si TikTok suit un chemin similaire à celui de Netflix en faisant son incursion dans le domaine des jeux, ce ne sera peut-être qu’une question de temps avant que la plateforme vidéo ne commence à développer ses propres jeux. « Nous sommes une société de divertissement, nous ne sommes pas un réseau social« , a déclaré Assaf Sagy, responsable des jeux et des solutions commerciales internationales chez TikTok. « Vous entrez dans TikTok, et le contenu que vous voyez est unique pour vous. Le jeu est un pur divertissement à l’heure actuelle. » Et enfin, une bonne nouvelle pour les 71% des 2-17 ans qui jouent à des jeux vidéos : Une nouvelle étude américaine, portant sur plus de 2200 enfants, suggère qu’une pratique soutenue des jeux vidéos est associée à de meilleures performances cognitives…
NFT, des signaux contradictoires – Sur la pente descendante de la courbe du hype de Gartner, les NFT font toujours parler d’eux : d’un côté, certains investisseurs ne joignent pas l’acte à la parole, comme le milliardaire Sam Bankman-Fried, mégadonateur politique, qui vient de fermer son portefeuille ; d’autres parlent d’un « second souffle » pour l’économie des NFT, quand, en une poignée de jours, une nuée d’acteurs exogènes à la blockchain, comme Instagram et Telegram, ont lancé leur marketplace pour vendre des jetons non fongibles. Game of Thrones annonce des NFT, Pharrell Williams fait « partie intégrante du projet Doodles d’Ethereum », et le prix du dogecoin, le jeton crypto humoristique, s’envole alors qu’Elon Musk a finalisé son rachat de Twitter. Les entreprises médiatiques chinoises lancent toutes leurs plates-formes et collections NFT. Reddit a défié le Crypto Winter et créé un marché de 10 millions de dollars pour les avatars personnalisables – il ne faut juste pas les appeler NFTs. En même temps, le premier distributeur automatique de NFT d’Europe a reçu un accueil froid à Londres et au Web Summit à Lisbonne cette semaine, l’inventeur du Web, Tim Berners-Lee, veut que nous « ignorions » le Web3 : « Le Web3 n’est pas du tout le Web »! Dans le grand jeu des NFT, les artistes numériques sont gagnants. Après avoir été considérés comme des parias pendant des décennies, ils reçoivent désormais un accueil chaleureux de la part des conservateurs des grands musées qui cherchent à conquérir de nouveaux publics et à conserver les riches donateurs issus du boom du NFT.
Cette semaine en France
- 41 % des Français s’informent via les réseaux sociaux
- Prisma repasse à l’offensive
- La taxe GAFA rapporte un peu plus chaque année
- L’Académie du Métavers fera ses premiers pas à Marseille
- Rumble, la plate-forme de vidéos non modérée qui hébergeait notamment RT, bloquée en France
- Chronologie des médias : La ministre de la Culture suggère que les fenêtres devraient être réduites – « Il y a lieu de trouver un équilibre plus respectueux »
- Filtre anti-arnaque, cyberscore : Jean-Noël Barrot mise sur la « cybersécurité du quotidien »
- Les quatre opérateurs télécoms français réclament 2 milliards à Netflix, Apple et Cie
- Malgré une hausse de sa dotation, l’audiovisuel public s’attend à de nouvelles difficultés financières
3 CHIFFRES
> 1 million – c’est le nombre d’utilisateurs que Twitter aurait perdu depuis l’acquisition par Elon Musk
Près de 10 millions d’abonnés désormais pour le New York Times, mais l’info n’est plus le moteur de la croissance
38 millions de Français « jouent au moins une fois par mois » aux jeux vidéos, se félicite le syndicat des éditeurs du secteur
LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE
Comparaison de la structure des revenus et des coûts de ventilation des derniers résultats T3-2022 d’Amazon, Apple, Microsoft, Google, Dimitris Bountolos
NOS MEILLEURES LECTURES / DIGNES DE VOTRE TEMPS / LONG READ
- Comment Elon Musk pourrait tuer Twitter ?
- Mark Zuckerberg essaie de devenir Dieu et de construire le paradis
- Il doit y avoir une meilleure façon de perdre 800 milliards de dollars
- La première minute de chaque appel téléphonique est une torture maintenant
- Regarder Facebook brûler
- Oublier les années 90
DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION
- Qui a tué la pub sur les réseaux sociaux ?
- La Chine cesse de publier les données sur son vaste marché national d’applications et présente un plan pour un système national intégré de Big Data pour les affaires gouvernementales
- Jérôme Seydoux : « Nous avons décidé de produire majoritairement des “films spectacles” en 2023 »
- Accélérer la transition énergétique grâce aux technologies Web3
- L’élection qui a sauvé Internet de la Russie et de la Chine
- Discord : comment expliquer le succès de la plateforme en France ?
- La Belgique propose la semaine de 4 jours, sans réduction du temps de travail
- Disney tente de combiner le streaming et le shopping
- La galaxie Elon Musk
- Les marques préférées de la génération Z
GAFA / BATX
- Nouveaux outils à destination des créateurs pour développer leur activité sur Facebook et Instagram
- Les recettes d’Alphabet et de Meta, le « duopole numérique », sont en baisse
- Apple est désormais plus valorisé qu’Alphabet, Amazon et Meta réunis
- Facebook News : Meta abandonne la sélection par des humains dans le monde entier au profit de l’algorithme
- Les actionnaires de Facebook aimeraient pouvoir licencier le patron
- Microsoft met en place un store de jeux mobiles Xbox pour s’attaquer à Apple et Google
- Apple News apparaît dans l’application Météo de la version bêta d’iOS 16.2 avec des articles régionaux
- Spotify entre en guerre contre Apple après que l’App Store a rejeté sa nouvelle fonctionnalité
- Amazon va interrompre ses embauches pendant des mois
- Alexa Shopping List, quand l’AR rencontre Amazon
- Tencent et China Unicom Joint Venture – ce n’est pas la première fois que Tencent s’associe à une entreprise d’État
DONNÉES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION
- L’étrange disparition de l’Internet ouïghour
- TikTok annonce aux utilisateurs européens que ses équipes en Chine ont accès à leurs données
- La Russie continue de financer les médias aux États-Unis
- Les rumeurs sur les réseaux sociaux alimentent les arrestations massives au Salvador
- Les autorités brésiliennes interviennent pour détecter les fake news plus rapidement que Facebook
- Facebook et Instagram ont diffusé des publicités violant la loi électorale kényane, révèle un nouveau rapport
- Midterms : pourquoi les complotistes de QAnon sont désormais essentiels pour les Républicains
LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION
- La DMA entre en vigueur, le système fermé d’Apple menacé
- Brendan Carr, commissaire de la FCC, estime que le gouvernement américain devrait interdire TikTok (et il n’est pas le seul)
- Twitter a besoin de plus de réglementation, et non de moins, pour qu’Elon Musk puisse promouvoir la liberté d’expression et « aider l’humanité »
- La ville de New York exige désormais des fourchettes de salaires dans les offres d’emploi. Voici les entreprises de médias qui s’y conforment et celles qui ne le font pas.
- Régulation d’Internet en Californie : « Toute entreprise qui propose un service en ligne accessible par des mineurs devra adapter sa mise en œuvre à ces derniers »
JOURNALISME
- « Les histoires traumatisantes érodent notre santé mentale »
- Carlos Dada : Enquêter sur le pouvoir et la criminalité alors que la démocratie recule
- Quelle est la couverture que vous méritez ?
- Rapporter le conflit : La guerre en Ukraine soulève des questions éthiques pour les journalistes
- Ce que les éditeurs peuvent apprendre des premières expériences Web3 des médias d’information
- Dougal Shaw, journaliste principal chargé de l’innovation vidéo à BBC News, sur la création de séries d’actualités
- Les newsgames du New York Times et du Washington Post
To survive as a rat, you must be clever. Think you have what it takes to scavenge for something to eat or find a safe place to sleep?
The Post built a video game to show you how rats live — and thrive — in the city. https://t.co/OBByNncODr
— The Washington Post (@washingtonpost) October 28, 2022
ENVIRONNEMENT
Que faudrait-il faire pour contrer le dérèglement climatique? En fonction de l’âge la réponse diffère. Ou pas toujours. Retrouvez notre vidéo qui fait dialoguer les générations. #COP27 #climat #climatechange #globalwarming #environment #climatechangeisreal pic.twitter.com/URT97V5me0
— Le Temps (@LeTemps) November 3, 2022
- Shannon Osaka du Washington Post reste positive sur les « couvertures climatiques »
- Le journalisme autour du climat est un moyen pour attirer des talents [EBU]
- Diversité et l’optimisme dans le journalisme environnemental
- Ce que la justice climatique signifie pour les journalistes en première ligne de front
- Outil pour les journalistes : Global South Climate Database, pour diversifier la couverture climatique
- Tout le monde est un journaliste du climat maintenant
RÉSEAUX SOCIAUX / MESSAGERIES
- Le fondateur de Twitter Jack Dorsey lance un nouveau réseau social
- Snapchat veut capitaliser sur le commerce en ligne
- Facebook lance le mode professionnel : comment l’activer sur son profil
- WhatsApp met fin à l’anarchie des groupes de discussion et vient de lancer sa fonction “Communautés”
- Quels émojis inventer pour mieux représenter nos émotions à l’ère numérique ?
- Les adolescents se tournent vers TikTok à la recherche d’un diagnostic de santé mentale
- Joe Rogan – en partie star de YouTube, en partie magicien, tout en controverses
- Instagram lance une nouvelle interface sur PC
- Talkwalker : Les tendances des réseaux sociaux en 2023
STREAMING, OTT, SVOD
- CNN réduit ses séries et films originaux
- YouTube sépare Shorts et vidéos sur Android et ses applications
- Le président CEO de Warner Bros. Discovery prévient que la création de contenu « à tout prix » est terminée, mais affirme que « l’âge d’or » n’est pas mort
- Alors que la NBA se tourne vers le streaming, WBD pourrait transférer certains matchs à HBO Max/Discovery+ dans le cadre d’un accord « créatif »
- Paramount atteint près de 67 millions d’abonnés streaming dans le monde et Paramount+ atteint 46 millions d’abonnés
- Le modèle publicitaire de Netflix suscite le débat parmi les spécialistes du marketing au Royaume-Uni : » Les vraies audiences de vraies personnes qui paient une vraie attention sont plus difficiles à trouver que jamais «
AUDIO, PODCAST, BORNES
- Apocalypse pop : la GenZ canalise son éco-anxiété en musique
- 360 Reality Audio : Amazon renforce son streaming musical en réponse à Apple Music
- Amazon Music étend son catalogue musical aux abonnés Prime
MÉTAVERS, IMMERSION, 360, VR, AR
- Métavers : face à Meta, les partisans d’une approche décentralisée s’organisent
- Phil Spencer, le patron de Xbox, n’est pas fan du métavers sous sa forme actuelle
- Facebook est devenu Meta il y a un an. Son rêve de métavers semble plus lointain que jamais
- Mark Zuckerberg dépense des milliards pour le métavers : voici où tout cela va aller
- La Chine introduit la dimension industrielle dans le métavers
- “The Metaverse Mess” de Meta [pocast WSJ]
- Qu’est-ce que le métavers, et est-ce que ça vaut la peine d’attendre ?
Web3, BLOCKCHAIN, CRYPTO, NFT
- L’inventeur du Web, Tim Berners-Lee, veut que nous « ignorions » le Web3 : « Le Web3 n’est pas du tout le Web »
- Le Web3 va régler le problème des médias sociaux. Vraiment ?
- Le ministère japonais du numérique va créer un DAO pour l’exploration du Web3
- Google Cloud se lance dans le Web3 avec un service blockchain
- Une nouvelle forme de cryptographie peut-elle résoudre le problème de confidentialité d’Internet ?
- Hong Kong dévoile des politiques pour développer l’industrie des actifs virtuels, défiant Singapour
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION
- « Libérez toute cette créativité » : Le potentiel “époustouflant” de l’IA de Google
- Google s’empare discrètement d’Alter et de ses outils de création d’avatars par IA
- Google prévoit un modèle linguistique géant pour les 1000 langues les plus parlées au monde
- L’université Paris-Saclay créée une école de l’intelligence artificielle
- Les femmes ont moins de chances de s’exprimer sur CNN, Fox News et MSNBC, selon une analyse IA
MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ
- Elon Musk pourra-t-il satisfaire les annonceurs de Twitter ?
- Payer (cher) pour être traqué, l’autre face des technologies de surveillance
- Hollywood veut sa part du gâteau alors que Netflix lance le streaming financé par la publicité
- La plateforme vidéo de Google commence à vendre des abonnements à Paramount+, Showtime et d’autres, dans un contexte de ralentissement de la publicité
- La publicité en temps de crise
OUTILS
- 10 outils indispensables pour créer du contenu sur les réseaux sociaux
- 15 communautés en ligne pour les journalistes que vous devriez connaître
- Neuf conseils aux journalistes pour se lancer sur TikTok
Et pour finir, l’anecdote de la semaine :
Je suis sûr que les américains ne connaissent même pas le nom de ce pays ptdrrr pic.twitter.com/aecSupQdyU
— Gas🅿️ardo (@gaspardooo) October 30, 2022
ES avec Kati Bremme, Myriam Hammad & Isya Okoué Métogo
Métavers et Web3, une feuille de route pour la France
Dotée de compétences à la fois du côté de la French Tech (technologies) et de la French Touch (création), la France semble bien positionnée pour jouer un rôle clé dans le développement du Métavers (des métavers) et du Web3 en Europe. Cette semaine a été remis au gouvernement un rapport sur les orientations pour le développement des métavers en France. Rédigé par Camille François, Directrice mondiale confiance et la sécurité chez Niantic et chercheuse à la Columbia University, Adrien Basdevant, avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies et membre du Conseil national du numérique, et Rémi Ronfard, chercheur à l’Inria, le rapport résume en dix propositions l’enjeu des nouvelles technologies immersives et participatives pour la France.
Par Kati Bremme, Direction de l’Innovation et de la Prospective
Au-delà de ces dix propositions formulées par les 3 experts, déjà largement relayées dans les médias, Méta-Media a lu les 115 pages du rapport pour vous partager les idées qui nous paraissent importantes à retenir pour les médias.
Métavers versus Web3
Même si une partie des éléments constituants du futur Métavers est déjà dans la poche de millions de citoyens européens sous la forme des scanners sophistiqués LiDAR (« Light Detection and Ranging ») intégrés par défaut aux iPhone Pro, le rapport démontre bien à quel point la confusion règne face à la polysémie du métavers. Il y a le Métavers avec un grand « M », à l’image d’Internet avec majuscule pour décrire l’évolution de la transformation digitale à venir d’un côté, et les métavers de l’autre côté, qui comprennent les instanciations ou implémentations des principes du Métavers entre-autres dans des univers déjà existants, comme les MMORPG (jeu de rôle en ligne massivement multijoueur), des protométavers, au croisement des jeux vidéo 3D et des réseaux sociaux, souvent des métavers « voxelisés » en attendant le développement de métavers hyperréalistes.
Notre définition de travail sépare les éléments constitutifs des métavers de leurs modalités possibles d’expression (avec ou sans visiocasque, avatar, blockchain etc.) Elle souligne la polysémie du terme et la pluralité des formats possibles des technologies de l’immersion.
— Camille François (@camillefrancois) October 25, 2022
Le rapport pose dès le départ une séparation entre deux écosystèmes que l’on aime à mélanger dans le marketing autour des métavers : d’un côté les technologies immersives (VR, AR, XR), et de l’autre côté les éléments du Web3 (blockchain, NFT). Métavers et blockchain ne sont pas nécessairement consubstantiels, « mais certains métavers pourraient reposer sur des technologies de registres distribués« . L’échange de biens numériques est en effet une composante importante de l’économie des métavers, mais aussi un frein pour des organismes de service public pour embrasser cette nouvelle philosophie basée sur la propriété.

On y distingue 4 types de métavers :
- Les métavers sans casques (immersion extéroceptive) ni chaînes de blocs L’archétype de ces métavers est Second Life, qui est un monde virtuel fermé avec une économie fermée utilisant sa propre monnaie (le Linden dollar)
- Les métavers avec casque mais sans chaîne de blocs (immersion proprioceptive) VRChat, Rec Room et Sansar
- Les métavers sans casques mais avec chaînes de blocs comme Decentraland et The Sandbox
- Les métavers avec casques et chaînes de blocs Leur nombre limité à ce jour pourrait constituer un indicateur du faible couplage qui existe entre le web immersif et le Web3.
Le rapport s’essaie aussi à une définition du métavers : « Un métavers est un service en ligne donnant accès à des simulations d’espaces 3D temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre ensemble des expériences immersives.«
Pour comprendre la compléxité de l’écosystème métaversique, les experts du rapport proposent l’exercice de la Joconde Métaversique, un clin d’œil à André Malraux, qui aimait prendre l’exemple de la Joconde pour expliciter sa politique culturelle : une même oeuvre peut-être déclinée dans les différentes technologies du métavers et du Web3, à travers une application AR, une expérience VR, des tokens, ou même une DAO.
Les atouts français (et les défauts)
Pour la France, le positionnement face à ces technologies est clairement un enjeu de soft power, qui ne peut réussir que par la réconciliation de la souveraineté technologique et la souveraineté culturelle. Les capacités et compétences sont déjà présentes en France (grandes structures comme Ubisoft, Dassault Systèmes, Ledger, industrie de la création, formation…), mais il s’agira de les faire collaborer mieux : « l’écosystème français est complexe, et formé de très nombreuses structures et associations dont les missions se recouvrent et se confondent, ce qui contribue à une certaine confusion« , résume le rapport. Plutôt que de tenter de « créer le Google européen du métavers », le rapport préconise un rapprochement de la recherche publique et la création artistique.
Le rapport imagine aussi un « métacampus » à Paris, où seraient représentés les chercheurs de toutes les disciplines concernées, avec des filiales dans les régions, et la création d’un équivalent d’un institut innovant interdisciplinaire (sur le modèle, par exemple, du MIT Media Lab ou de l’Ircam). Celui-ci serait « à la fois un laboratoire de recherche en informatique dédié aux arts immersifs, un lieu de coordination entre chercheurs et artistes pour la création d’œuvres immersives innovantes dans les métavers et un comptoir d’expertise pour toutes les institutions culturelles concernées« .
En attendant :
Nous sommes fiers de lancer l’#AcadémieMétavers à #Marseille avec @simplonco et @MaRegionSud !
L’objectif ? Soutenir la création d’emplois & la formation aux nouveaux métiers liés au #métavers dans la Région, qui dispose d’un fort écosystème numérique 🚀https://t.co/DmVrUHKiKD pic.twitter.com/4qRLl6WYTL— Meta France (@MetaFrance) October 27, 2022
La commande publique pourra-t-être l’un des leviers pour répondre au besoin de souveraineté culturelle et technique et pour faire le lien entre structures françaises et institutions européennes, en y ajoutant des investissements dans des initiatives de recherche interdisciplinaire (informatique, neurosciences et sciences sociales) de grande ampleur et à long terme, utilisant les dispositifs existants (France 2030, PIA 4, PEPR, ANR).
Il s’agira aussi de lancer dès maintenant le travail d’adaptation de l’encadrement législatif, notamment du règlement général sur la protection des données (RGPD), la législation sur les services numériques (DSA) et la législation sur les marchés numériques (DMA), aux enjeux métaversiques face à la nécessité de la mise en place de nouveaux « neurodroits » mis sur la table par le bioéthicien Marcello Ienca, et au besoin de réguler les transactions financières pour maîtriser la perception d’impôts. Le CNC exhorte déjà à un soutien fort aux entreprises, qui pourrait aller au-delà des limites imposées par le régime d’encadrement des aides d’État, et à étendre les principes de protection des œuvres européennes indépendantes (issues de la directive SMA) à l’ensemble des plateformes numériques proposant des contenus culturels. « Les métavers extra-européens pourraient se voir imposer des obligations d’investissement dans la création française et européenne« , garantissant la présence forte de l’imaginaire européen dans ces nouveaux environnements numériques, sur le modèle de ce qui a été mis en place dans l’audiovisuel.
Santé, architecture, industries et jumeaux numériques, travail – les applications utiles des métavers sont évidentes, mais le rapport s’interroge, notamment pour l’éducation, sur l’utilité de déployer ces environnements dans des mondes virtuels pérennes et partagés par des millions (ou milliards) d’internautes. Le rapport met aussi en avant l’importance du choix de format et de canal de diffusion dans le métavers, qui sont tout sauf neutres : « Chacun relève d’un modèle économique qui lui est propre et qui peut pénaliser lourdement les institutions culturelles qui s’y risquent« . Une raison de plus de tendre vers des solutions souveraines européennes.

De nouveaux médias immersifs
En plus de l’étape clé des Jeux Olympiques 2024, mise en avant comme une « opportunité de rassembler les acteurs autour de projets concrests au sein d’un consortium public / privé pour proposer des actions de grande visibilité » (entraînement / compétitions, transport / tourisme, coulisses / échanges avec les athlètes), le rapport met l’accent sur la capacité de transformation du métavers pour le secteur culturel et les médias. Après la radio et la télévision, qui diffusent les images et les sons, les nouvelles technologies de réalité virtuelle et de réalité augmentée permettraient désormais de diffuser le théâtre, la danse, l’architecture, la sculpture et l’opéra, dans leur dimension spatiale et immersive, une ultime étape de la « conquête de l’ubiquité » imaginée par Paul Valéry, ou l’oeuvre d’art totale.
Les auteurs du rapport citent Louis B. Rosenberg, CEO & Chief Scientist d’Anonymous AI, pour qui le Métavers marque « la transition sociétale entre les médias “plats” vus à la troisième personne et les médias immersifs vécus à la première personne« . Sans aller dans le détail des cas d’usage pour les médias, -qui restent donc à inventer-, le rapport se concentre surtout sur la façon dont les « technologies de capture de mouvement et vidéo volumétrique permettront à terme de prendre part à des représentations virtuelles immersives« . Pour les auteurs, le développement du Métavers « va également susciter de nouvelles formes artistiques plus interactives, par hybridation avec le jeu vidéo, entre théâtre immersif et drame interactif ».
Le créneau des studios de production d’art immersif serait une autre opportunité dont la France peut s’emparer, d’autant plus que Google et Facebook ont abandonné le terrain en fermant leurs propres studios Oculus Story Studio (2014-2017) et Google Spotlight Stories (2016-2020). Du côté de l’IP et des droits, il s’agira d’insérer l’usage spécifique d’une œuvre dans les métavers dans les contrats/clauses de cession de droits, conformément à l’article L. 131-3 du CPI qui impose la cession des droits d’auteur par écrit et leur délimitation dans l’étendue, la destination et la durée.
Pour le moment, le rapport évoque comme l’une des limites du métavers celle de l’imagination – à quoi bon reproduire le réel si dans le métavers on peut dépasser les limites physiques ? Voilà l’une des opportunités pour la création et les médias qui devront trouver des récits adaptés à ces nouveaux espaces.
Pas de publicité dans le métavers ?
Le rapport avertit sur le modèle économique des métavers : face aux données personnelles multiples qui peuvent être captées par les différents devices pour accéder aux environnements immersifs (l’enregistrement et l’analyse des regards dans les casques VR notamment), un modèle basée sur la captation de l’attention par le traitement des données chéri par le Zuckerverse paraît peu souhaitable, voire dystopique. Il y est même posé la question : Faut-il interdire la publicité dans les métavers ?, une question lancée par les chercheurs Heller et Bar-Zeev, qui remarquent que « dans l’état des connaissances que nous avons des effets de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée sur le cerveau, il n’est pas responsable d’autoriser la publicité dans les mondes virtuels immersifs sans prendre des précautions extrêmes« .
Des enjeux écologiques fondamentaux, vers un ‘méta-vert’ ?
Le rapport pose bien sûr aussi la question de la pertinence de ces technologies : « quel est le gain significatif et durable des espaces 3D temps réel, des visiocasques et des chaînes de blocs pour chaque activité humaine concernée ? » en soulignant qu’il faudrait tenter d’évaluer la pertinence des métavers de différents types pour chaque activité. Les plateformes de métavers aujourd’hui actives se montrent peu enclines au partage de chiffres sur l’impact écologique de leurs activités. Pourtant, dans le contexte de sobriété énergétique actuel, il paraît primordial de quantifier les dépenses énergétiques de ces nouvelles infrastructures dans l’équation de leur développement.

Selon Raja Koduri, responsable de l’informatique graphique d’Intel, la démocratisation des métavers à l’échelle de la planète nécessiterait de multiplier par 1000 la puissance de calcul disponible. Face à ce constat, le rapport avance une idée déjà partagée dans des réflexions autour de l’évolution vers l’immersif : « La valeur apportée par un métavers devrait pouvoir être supérieure aux impacts environnementaux générés, autrement dit dépasser le simple divertissement ou la simple spéculation en permettant un progrès significatif par rapport à ce qui pourrait être accompli sans recourir à de tels dispositifs technologiques« . Faudra-t-il donc limiter les heures de connexion ou même interdire un métavers du divertissement ? Le rapport cite aussi le chercheur Alain Berthoz qui souligne le risque d’une forme de déni du réel face aux enjeux climatiques.
La conclusion des experts : « Un métavers limité à quelques millions d’utilisateurs dans le monde pour des usages positifs et utiles à la société peut être préférable à un métavers généralisé à toute la population pour des usages nocifs et qui ne serviraient que des intérêts privés »
Conclusion
Le rapport met en avant les atouts de la France pour devenir un acteur important de ces nouvelles technologies, tout en démontrant les limites (technologiques, éthiques, politiques) du métavers, et le besoin d’une meilleure coordination entre French Tech et French Touch, entre recherche publique et création artistique. C’est dans le domaine de la culture que les opportunités semblent les plus évidentes, et un certain nombre d’acteurs culturels en France les ont déjà saisies. Mais une série de questions se pose sur l’évolution et l’adoption des métavers : Ira-t-on vers un appauvrissement ou une démultiplication des émotions ? Est-il acceptable d’avoir dans les métavers des comportements interdits dans la vie réelle ? Doit-on avoir des avatars hyperréalistes ? Comment réguler ces technologies immersives extrêmement invasives en termes d’acquisition de données personnelles sur notre état émotionnel, voire médical ? Toutes nos activités en ligne méritent-elles d’être monétisées ?, pour n’en citer que quelques-unes.
Aujourd’hui, n’importe qui peut créer une vidéo et la poster sur TikTok, dans quelques années cela pourrait s’avérer être le cas pour les contenus 3D et les mondes virtuels. Pour la France, il ne s’agit pas de « jeter le bébé Métaversique avec l’eau du bain de Facebook » mais de mettre en avant des valeurs européennes pour un métavers écoresponsable, accessible et souverain. Les débats autour des développements des métavers constituent en effet « une formidable occasion de repenser notre rapport au numérique » dans sa globalité.
Retrouvez aussi notre timeline du métavers depuis l’annonce de Mark Zuckerberg
Les réseaux sociaux alternatifs : entre idéaux de liberté d’expression et discours de haine au coin du feu
BitChute, Gab, Gettr, Parler, Rumble, Telegram, Truth Social : ce sont quelques-uns des réseaux sociaux qui se présentent depuis plusieurs années comme une alternative à Twitter, Youtube ou encore Facebook. Leur revendication principale est surtout une plus grande liberté d’expression, dans un contexte global de renforcement des règles d’utilisation des réseaux mainstream (15 % des plus gros comptes sur les sites de médias sociaux alternatifs ont été interdits sur les auters réseaux). Les comptes les plus en vue sur les sites de médias sociaux alternatifs sont aussi le plus souvent des particuliers, et non des organisations. Mais alors que l’information sur les plateformes est mise à mal par la désinformation, la polarisation et les algorithmes, qu’en est-il sur ces nouveaux espaces “libres” ? La dernière étude du Pew Research Center tente de répondre à cette question, à travers une analyse approfondie des usages des internautes sur sept des médias sociaux alternatifs.
Par Isya Okoué Metogo, MediaLab de l’Information, et Kati Bremme, Direction de l’Innovation
Les Américains sont plus conscients de l’existence de certains sites de médias sociaux alternatifs que d’autres, mais dans l’ensemble, très peu s’y informent. 6 % des personnes interrogées s’informent régulièrement sur au moins une des plateformes analysées, mais la plus grande partie (65 %) s’y rend surtout pour trouver une communauté qui partage leurs opinions. Pour ceux qui s’y informent, l’étude relève le fait peu surprenant que la majorité d’entre-eux sont républicains, contrairement aux sites de médias sociaux “classiques”, où les consommateurs d’informations sont plutôt susceptibles d’être démocrates. Les comptes proéminents ont d’ailleurs tendance à mettre l’accent sur les identités de droite et les valeurs religieuses et patriotiques.
Une petite communauté de « réfugiés politiques »
Les consommateurs d’actualités sur les quatre sites dont le nombre est suffisamment important pour être analysé individuellement – Parler, Rumble, Telegram et Truth Social – se disent en grande partie satisfaits de leur expérience en matière d’actualité sur ces sites, ils considèrent que les informations sont généralement exactes et que les discussions sont généralement amicales. En même temps, l’étude trouve (sans grande surprise) des signes indiquant que ces sites pourraient être un autre symptôme de la polarisation croissante du discours public – et des divisions partisanes des Américains dans l’environnement plus large des médias d’information.
Plusieurs sites sont liés à des soutiens de fonds conservateurs – notamment Truth Social, qui se considère comme « la Grande Tente de l’Amérique, qui encourage une conversation mondiale ouverte, libre et honnête sans discrimination d’idéologie politique », et qui a été lancé par Donald Trump environ un an après avoir été suspendu « indéfiniment » et « définitivement » de Facebook et Twitter. Il ne s’agit pas d’un phénomène unique : L’étude a révélé qu’un pourcentage notable de comptes importants sur ces sept nouveaux sites (15 %) ont été bannis ou démonétisés ailleurs sur les médias sociaux.
Les thèmes abordés par la plupart des comptes, à 80% gérés par des particuliers, sont majoritairement politiques. On retrouve par exemple l’avortement, les armes à feu, l’attaque du 6 janvier du Capitol, la communauté LGBTQI+ ou encore les vaccins. Les utilisateurs sont très transparents sur leur affiliation politique, et 54% d’entre eux font appel à des valeurs ou une orientation politique dans le profil. Beaucoup sont de droite, proche du milieu « Make America Great Again » de l’ancien président des Etats-Unis, du parti trumpiste ou d’une idéologie conservatrice. 6% des comptes importants de ces plateformes mentionnent d’ailleurs un lien avec des théories du complot liées au groupe QAnon. La plupart défendent le port d’armes et le Second Amendement qui l’autorise, et prônent la liberté d’expression.

Ces communautés poursuivent d’ailleurs leurs activités au-delà des frontières du réseau social : Un tiers des consommateurs de ces réseaux sociaux alternatifs déclarent avoir déjà participé à un rassemblement ou à un événement politique dont ils ont entendu parler en ligne. Et 36% des utilisateurs ont déjà soutenu financièrement d’autres comptes qu’ils suivent.
Des « havres de paix » de la liberté d’expression sans modération
Les utilisateurs voient ces nouveaux médias alternatifs comme des refuges pour la liberté d’expression, un « antidote à la censure » et à la « culture d’annulation ». Les sites basent d’ailleurs leur promotion sur ces valeurs, et toutes les plateformes étudiées par le Pew déclarent explicitement dans leur communication un fort soutien à la liberté d’expression. Les sept plateformes déclarent explicitement qu’elles soutiennent la liberté d’expression, quatre (BitChute, Gettr, Parler et Rumble) déclarant spécifiquement leur opposition à la censure et trois (Gab, Gettr et Parler) s’identifiant comme des alternatives à Big Tech. C’est d’ailleurs la description intuitive qu’en font 22% des utilisateurs. Or, cette liberté d’expression se caractérise par la faible modération du contenu et des informations qui y sont partagées. Un frein pour de nombreux Américains (61%), qui considèrent que la modération sur les plateformes est nécessaire même si elle limite la liberté d’expression.
Une tendance qui s’inverse totalement pour les utilisateurs des médias alternatifs : 64% d’entre eux préfèrent cette liberté, même si elle doit s’accompagner d’un risque de désinformation. Selon Pew, 15% des 1 400 comptes importants étudiés ont été interdits ou démonétisés sur d’autres plateformes sociales pour désinformation ou discours de haine, tandis que 83 % de ces comptes sont gérés par des individus, c’est-à-dire une seule personne ayant une affiliation notoire à une organisation ou une personne sans aucune affiliation organisationnelle. BitChute avait le pourcentage le plus élevé de comptes bannis sur d’autres plateformes (35 %), suivi de Rumble (22 %), Gettr (13 %), Gab (12 %), Parler (12 %) et Telegram (12 %).
Truth Social est en tête pour les comptes importants gérés par des particuliers, avec 94 %, suivi de Gettr (92 %) et Gab (91 %), alors que ce chiffre n’est que de 54 % pour Telegram. Un élément qui ne semble pas inquiéter le public, qui juge majoritairement pouvoir faire confiance aux informations qu’ils trouvent sur les médias sociaux alternatifs. 52% des consommateurs d’information déclarent trouver des informations qu’ils ne voient pas ailleurs, alors même que beaucoup sont aussi sur d’autres plateformes mainstream.
De faibles restrictions, par contrainte
Si la liberté d’expression est un élément clé de l’identité de ces sites, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de restrictions sur le contenu qu’on y trouve. Tous les sites étudiés, à l’exception d’un seul (Gab), modèrent le contenu des utilisateurs au-delà du spam ou des exigences légales – soit en supprimant des messages, soit en suspendant ou en bannissant des comptes jugés offensants ou diffusant des informations erronées. Certains des sites de médias sociaux alternatifs étudiés suppriment des messages (ou les comptes qui les partagent) pour un certain nombre de raisons, notamment parce que les messages sont offensants, contiennent des contenus violents ou racistes, contiennent des informations erronées ou, dans certains cas, en raison de leur point de vue politique général. (Tous leurs grands concurrents utilisent également une certaine forme de modération pour traiter les discours offensants ou les fausses informations).
Sur la plupart des plateformes alternatives, le pouvoir de modération est donné aux utilisateurs : presque toutes permettent de contrôler ce qui apparaît dans le fil d’actualité en bloquant ou en désactivant des utilisateurs, de signaler des comptes ou des publications, et de bloquer le contenu explicite. Des règles de conduite qui semblent convaincre les consommateurs plus que les régulateurs, qui épinglent régulièrement certains espaces numériques pour leur responsabilité dans des faits de violence eux bien réels.
Il est difficile de savoir quel contenu est autorisé sur chaque site et quel contenu est retiré. Mais les rapports des médias et des universitaires donnent un aperçu de certains des contenus supprimés. Au moins un site – Truth Social – supprimerait les contenus critiques à l’égard de certains points de vue politiques. Les conditions d’utilisation de Truth Social interdisent également les contenus sexuels et violents, bien que Google ait déclaré fin août 2022 que Truth Social devait faire davantage pour supprimer les contenus incitant à la violence afin d’apparaître sur sa boutique d’applications. Gettr, quant à lui, interdit dans ses conditions d’utilisation tout contenu « offensant, obscène … pornographique, violent, harcelant, [ou] abusif ». Il a interdit certains contenus nationalistes blancs et suspendu au moins un compte important pour contenu offensant.
La loi n’est pas le seul obstacle qu’ils rencontrent. Les Big Tech arrivent aussi parfois à leur imposer des conditions d’utilisation, en bloquant tout simplement les médias sociaux des magasins d’applications comme l’AppStore ou le Google Store, limitant ainsi la liberté dans laquelle ces nouveaux réseaux sociaux souhaitaient s’échapper tout en étant dépendant des briques technologiques et commerciales des Big Tech. L’application Parler avait été retirée des boutiques d’applications Google et Apple après les émeutes du 6 janvier, et n’a été réintroduite dans chacune d’elles qu’après l’ajout de fonctions de modération demandées par Google et Apple. De même, en septembre 2022, Google a demandé à Truth Social d’ajouter des fonctions de modération pour supprimer les contenus violents avant d’autoriser l’application sur sa boutique. Telegram a supprimé les chaînes d' »extrême droite » et pro-ISIS après avoir subi des pressions de la part de gouvernements internationaux et a bloqué ou surveillé des contenus au Brésil en réponse à des demandes du gouvernement de ce pays (bien que ces contenus puissent encore être disponibles ailleurs).
Les réseaux sociaux alternatifs se présentent le refuge d’un petit public partageant une vision du monde controversée. Très proches de la droite et de l’extrême droite américaine, les utilisateurs de ces plateformes cherchent à s’exprimer sur des sujets majoritairement politiques loin des contraintes de modération des réseaux mainstream. En résulte des communautés très soudées, gouvernées par des comptes individuels, souvent suspendus ou interdits de Facebook, Twitter ou Youtube pour des discours haineux ou de désinformation. Les personnes interrogées qui ont entendu parler des sites alternatifs mais ne les utilisent pas comme sources d’information ont déclaré qu’elles les associaient le plus souvent à l’inexactitude et à la désinformation (16%), au parti pris politique ou à la droite politique (11%) et à l’extrémisme et aux idées marginales (6%). On y trouve en effet une actualité très partisane peu protégée de la mésinformation. Un symptôme, pour le Pew Research Center, du discours public de plus en plus polarisé des Américains dans l’environnement des médias d’information.
Méthode : Le think tank américain Pew Research Center a interrogé 10 188 adultes américains du 16 au 22 mai et a audité les sept plateformes de l’étude, analysant les 200 comptes ayant le plus de followers sur chaque site, ainsi que les sujets abordés dans 585 470 messages publiés en juin par ces comptes.
Edinburgh TV Festival 2022 : face à la crise, la fin de l’impartialité et le « reboot » ?
Entre inflation et populismes, la télévision, et plus particulièrement celle de service public, est en pleine crise. Le Festival de TV d’Edimbourg est de retour « dans la vraie vie », devant un contexte marqué par la pandémie mondiale, le Brexit et les impacts économiques de la guerre en Ukraine. Les professionnels de la télévision britannique remarquent avec effroi l’absence de public international qui animait encore la dernière édition de 2019 dans la capitale écossaise.
Par Kati Bremme, Direction de l’Innovation et de la Prospective
Au programme de ce festival, où les services de streaming internationaux ont désormais la même place que les grandes chaînes nationales : comment créer de la valeur (et pour qui) avec des moyens réduits drastiquement ? Globalisation versus contenus locaux, inclusivité et accessibilité, développement durable et couverture de la crise climatique – autant de challenges dans un monde, où la préoccupation première des spectateurs sera bientôt le choix entre « heating, eating or streaming » (se chauffer, manger ou s’abonner à un service de streaming).
Configurer une mise à jour pour récupérer les nouvelles sorties du système, le mot « reboot » était dans la bouche de tout le monde, avec différentes interprétations. Pour les uns, il s’agit de faire revivre les grands succès de la télé (le retour de Big Brother sur ITV, Gladiators sur BBC1…) ; pour les autres c’est aussi de comprendre ce que la génération Z entend sous « regarder la télé » (i.e. streamer sur l’écran TV, voire même regarder une série originale sur Snapchat), quand on est confronté aux derniers chiffres de l’OFCOM qui indiquent que les 16-24 ans regardent 7 fois moins la télévision que les plus de 65 ans.
Autre grand débat qui animait les trois jours du festival : dans un monde marqué par la montée des populismes et les « faits alternatifs », quelle est la meilleure façon d’informer ? La BBC (et les représentants du gouvernement conservateur) défendent bec et ongles l’importance de « l’impartialité » de la télévision de service public, quand la journaliste Emily Maitlis explique dans sa lecture MacTaggart que l’impartialité mal appliquée sous forme d’un « both sides-ism » excessif fait le jeu des populistes.
Retour sur trois jours de débats animés (et parfois tendus) entre plusieurs interprétations de la télévision :
La bataille pour la survie du service public
Pour l’ouverture du festival, le président de la BBC, Richard Sharp, a révisé l’image négative qu’il avait du service public britannique avant d’en prendre les rênes il y a deux ans : « I Used To Think It Was Bloated, Self Important & Heard Too Much Of Its Own Voice », une télévision gonflée, égoïste, trop centrée sur elle-même. Alors que l’avenir du modèle de financement de la BBC est en jeu, l’ancien de Goldman Sachs a affirmé que la BBC doit désormais « développer une certaine sensibilité commerciale » tout en s’efforçant de s’adresser à tous les groupes démographiques, aux minorités et aux nations mal desservies. Le tout avec un budget réduit de 200 millions de livres d’ici 2027, le départ de 1000 collaborateurs et l’objectif d’engager un employé sur quatre issu du milieu ouvrier.
Pendant qu’il vante le succès de l’iPlayer de la BBC, nommé meilleur service de TV à la demande, qui n’est qu’à « 5 à 10 % derrière Netflix » à une fraction du coût de ce dernier, il rejette cependant l’idée qu’il puisse (pour l’instant) être monétisé en dehors du Royaume-Uni. Richard Sharp a aussi mis en avant le lancement du TV Access Project (TAP), une initiative en faveur de l’accès des personnes handicapées (dans la continuité de la thématique clé de la lecture MacTaggart 2021 de Jack Thorne). La BBC en a pris la tête, un moyen supplémentaire pour se différencier des services de streaming internationaux (Netflix y a participé mais n’a pas signé le protocole).
« Being deaf is my proudest identity. Disability is not a barrier. I am disabled because I live and work in a world that disables me ».
A bold and vital Alternative MacTaggart, delivered by BAFTA winning @RoseAylingEllis 🤗#EdTVFest pic.twitter.com/Yh8lfPhPz0
— BAFTA Scotland (@BAFTAScotland) August 26, 2022
Concernant l’avenir de la BBC, l’ancien conseiller de Boris Johnson a ajouté : « Je communiquerai avec le gouvernement et je suis convaincu qu’il m’écoutera ».
Mais tout le gouvernement britannique ne semble pas être conscient des énormes efforts que les chaînes publiques ont déjà fait pour s’adapter à la transformation technologique : Baroness Tina Stowell, présidente de la commission Communication et Numérique de la Chambre des Lords, avance dans le débat de clôture du festival que le plus grand problème des médias de service public en Grande-Bretagne serait la menace des géants de la tech et l’urgence de passer au « digital first ». Or, tous les autres participants au débat (et le public dans la salle) affirment que le plus grand problème des services publics britanniques est bien le gouvernement.
L’autre sujet de débat était la privatisation de Channel 4 (qui est rejetée par 96% des interrogés d’un sondage mené par le gouvernement ) et dont la popularité n’est plus à prouver : Channel 4 a remporté le prix de la chaîne de l’année 2022 avec sa philosophie « Alltogether Different », après avoir enregistré un résultat financier record et 13 RTS Awards et 44 nominations aux BAFTA.
Alex Mahon, directeur général de Channel 4, a déclaré : « Être nommée chaîne de l’année est un honneur fantastique et prouve le rôle unique que nous jouons à la télévision, en ligne et dans les communautés à travers le Royaume-Uni. »
La « reboot » serait-il la solution pour pallier le manque de moyens ?
Le directeur de Channel 4, David Abraham, a lancé le sujet mercredi et son directeur des contenus, Ian Katz, est monté sur scène un jour plus tard pour souligner la tendance « déprimante » de la reprise de formats. Charlotte Moore, la directrice des contenus de la BBC, a défendu de son côté que ces reboots demandent « de la créativité et sont un défi ». « Je ne pense pas qu’il soit facile de ramener des titres et d’en faire un succès », a déclaré Moore. « Ce serait un problème si c’était tout ce que nous faisions, mais si vous voulez avoir un impact auprès des jeunes téléspectateurs et inciter les gens à venir, il ne fait aucun doute que [les reboots] peuvent aider. » Relancer un film en tant que série ou réoutiller un format permettrait une percée instantanée auprès du public.
I love Ian Katz’s comments about the return of Big Brother. « There is something depressing about this microwave moment of TV, of shows being reheated. » As someone who finds reboots incredibly lazy and unimaginative, I think I might steal his phrase. Microwave, reheated TV. pic.twitter.com/fj4ox0blg1
— Rodney Marshall (@RodneyMarshall1) August 25, 2022
Mais il n’y a pas que la BBC qui reprend des programmes comme Gladiators. ITV vient d’annoncer la reprise de Big Brother, et il ne s’agit pas seulement d’un phénomène britannique ou d’un problème lié au genre : le directeur fiction de Paramount+, David Nevins, a présenté l’offre de streaming, qui comprend des reboots tels que Sexy Beast et American Gigolo, ainsi qu’un spin-off de Grease.
Pour optimiser les coûts, Fiona Campbell, directrice BBC Three, a aussi souligné l’importance de se concentrer davantage sur la manière d’apporter de la valeur aux audiences, de ne pas penser en fonction de la programmation, mais en fonction de la mise en avant sur l’iPlayer. Pour elle, l’obsession de l’audience en soirée doit cesser. Pour faire des économies, la BBC pourra produire moins de programmes unitaires et plus de séries.
Un autre moyen de diminuer les coûts a été annoncé par David Nevins, qui a indiqué que des émissions telles que sa prochaine série avec Ewan McGregor dans l’adaptation de Gentleman Of Moscow sont un moyen de recentrer les dépenses, avec un prix plus bas en raison de leur localisation dans un hôtel. Il faudra, selon lui, s’attendre à des changements similaires dans les scénarios, les diffuseurs réduisant leurs budgets et se concentrant sur les personnages plutôt que sur le spectacle.
Journalisme face au populisme – la fin de l’impartialité tant chérie par la BBC ?
Emily Maitlis, la journaliste britannique qui a, entre autres, réalisé l’interview au cours de laquelle le prince Andrew a évoqué ses liens avec Jeffrey Epstein, et qui est une star y compris pour les chauffeurs de taxi, a profité de sa conférence MacTaggart « Boiling the frog : pourquoi nous devons arrêter de normaliser l’absurde » pour inviter les journalistes et les diffuseurs à s’adapter à une nouvelle vague de politiciens pratiquant le populisme pour s’assurer le pouvoir.
Cette nouvelle époque aurait commencé avec son interview de Donald Trump le soir de son élection en 2016, où son supérieur Ian Katz l’aurait exhorté : « Ne normalisez pas ce moment ». Dans sa lecture, elle a retracé le long chemin qu’il lui aurait fallu pour comprendre que face aux « faits alternatifs », le traditionnel both-sides-ism n’est plus l’outil adapté pour rendre compte de la réalité.
Revenant sur son temps en tant que journaliste de Newsnight à la BBC, elle a admis « sa honte » d’essayer de défendre le diffuseur britannique contre les accusations de partialité plutôt que de demander des comptes au pouvoir. Maitlis a pointé du doigt une interview en 2016 avec « l’acolyte » de Donald Trump, Sebastian Gorka, sur Newsnight, dans laquelle elle a passé « la moitié du temps d’interview qui nous était imparti à essayer de défendre notre objectivité et le reste à se plier en quatre pour concilier sa version étranglée de la vérité, juste pour prouver que les critiques qu’il a formulées à mon égard étaient fausses. »
La journaliste, qui a quitté la BBC pour rejoindre le groupe de radio Global au début de l’année, a déclaré que les téléspectateurs étaient « en train de s’anesthésier face à la vitesse croissante à laquelle les faits se perdent, les normes constitutionnelles sont mises à mal, les affirmations sont souvent incontestées. »
Pour Emily Maitlis, « nous faisons preuve d’impartialité lorsque nous rendons compte sans crainte ni faveur, lorsque nous n’avons pas peur de demander des comptes au pouvoir, même si cela nous met mal à l’aise. »
Ian Murray, secrétaire d’État pour l’Écosse (Labour), a décrit la situation avec une image très simple, et juste : Quand le ciel est bleu, on ne doit pas présenter un avis opposé qui dit que le ciel est vert sous prétexte de couvrir « les deux côtés », mais plutôt mettre en avant qu’il y a des gens qui prétendent que le ciel est vert, mais que ce n’est pas vrai – il suffit de regarder dehors (le ciel est gris d’ailleurs à Edimbourg, NDLR).
Agree. Just watched the Charlotte Moore interview. On the one hand she « welcomes » Emily Maitlis’ contribution to the debate about BBC impartiality. On the other, she refutes EM’s allegations about Robbie Gibb interfering. So she welcomes a liar?#Edtvfesthttps://t.co/F2mcG3jI4Z
— paulusthewoodgnome 🇺🇦💙 (@woodgnomology) August 26, 2022
Face à ce changement de paradigme et ces accusations, Charlotte Moore a défendu l’impartialité et l’indépendance de la BBC à l’égard des pouvoirs politiques, au même moment où Liz Truss, la candidate au remplacement de Boris Johnson, a ajouté de l’huile sur le feu des débats en déclarant que tous ceux qui croient que la BBC est impartiale se trompent. Elle préfère un « honest bias », un parti pris honnête, à une prétendue impartialité. La BBC reste sur sa position : Le public fait confiance à la BBC, il s’attend à ce que nos journalistes « laissent leur opinion à la maison ». Deux visions du journalisme qui s’opposent.
Raconter la crise climatique – du changement à la crise à la catastrophe
En lien évident avec la question d’impartialité est le sujet du traitement de la crise climatique. À une époque où l’urgence environnementale est indiscutable, comment transformer cette crise complexe et déroutante en un sujet auquel les téléspectateurs peuvent s’identifier ? Comment exploiter la créativité mondiale pour susciter un changement positif et placer la conversation sur le climat au centre de l’actualité ? La table ronde Based on a true story: How to tell the climate crisis narrative a essayé de répondre à la question.
Pour le producteur Stephen Garrett, le public ne veut pas être assommé par le contenu ou culpabilisé, il faudrait des ‘chevaux de Troie‘. Lisa Simpson qui devient végétarienne a plus d’impact sur le comportement des publics qu’un documentaire de 52 minutes. Il ne faudrait pas se contenter de cocher encore une case (en plus de la diversité et de l’accessibilité), mais intégrer le sujet dans les succès existants. Pour les représentants du service public, il s’agirait encore une fois à ne pas (trop) s’affirmer militants mais de rester dans un rôle qui rend compte des faits, en y mettant tout d’abord les bons mots : changement climatique ou catastrophe climatique en passant par la crise climatique.
@apathysuckseggs discussing how colonisation caused the climate crisis, and how the solutions need to stretch beyond white, Western narratives.#EdTVFest pic.twitter.com/9UIqCC2X3i
— Channel 4 Earth (@channel4earth) August 24, 2022
Pour Thimali Kodikara, la solution se trouve aussi dans le format des podcasts : « Vous pouvez obtenir 5 % avec la science et 10 % avec le pessimisme, mais tous les autres ont besoin de quelque chose à quoi se raccrocher – plus d’humour, plus de femmes – vous pouvez avoir des conversations croustillantes et désordonnées. »
Netflix, interrogé sur le sujet, a confirmé vouloir « divertir et non pas faire la leçon à notre public », tout en avouant qu’ils sont toujours à la recherche d’un format à succès sur le changement climatique qui générerait le même impact et engagement que The Social Dilemma.
Talents : ce que les géants du streaming veulent, et ne veulent pas
Anne Mensah, responsable Netflix du Royaume-Uni, a pointé du doigt la « monoculture de la télé » et vanté sa plateforme comme le meilleur partenaire des producteurs britanniques, en mettant l’accent sur les programmes non scénarisés (non scripted). En même temps, Netflix a fait comprendre qu’il ne voulait pas d’émissions « de niche et avant-gardistes » et qu’il recherchait plutôt des programmes « pour un public large et amusants » par des créateurs affirmés (« We dont set you up for failure »), y compris des formats de talent show musical : « We’d love to find a music talent format. A singing talent format ». Netflix a annoncé d’ailleurs une série documentaire sur Robbie Williams, et aussi davantage d’histoire contemporaine après le succès de 9/11.
Un peu en contradiction avec cette annonce de contenus « mainstream » et malgré le contexte économique difficile et des coûts de production qui explosent, Netflix a souligné son souhait de rester « innovant » et de « prendre des risques » tout en collaborant sur plus de coproductions avec la BBC entre autres. Anne Mensah : « Je pense qu’il faut prendre des risques dans le mainstream. Nous sommes donc constamment à la recherche de moyens d’entrer dans la conversation culturelle et d’entrer en contact avec un grand nombre de personnes. Nous sommes une plateforme mondiale, donc un grand nombre de personnes, c’est facile pour nous ».
“it’s not always about spectacle but properly interrogating emotion and attacking what is important to say about life.” the @netflix team refreshing take on story > talent attachment #edtvfest @EdinburghTVFest pic.twitter.com/wESoiFr277
— Hana Walker-Brown (@HWalker_Brown) August 25, 2022
Lee Manson, directeur de la fiction chez Disney+, (qui vient de dépasser Netflix en termes d’abonnés, même si Netflix a commenté ce fait avec la remarque « cela dépend comment on lit les chiffres ») a parlé de l’importance des contenus régionaux, en utilisant l’exemple de la popularité d’Ignorant Angels en Italie pendant que son collègue de l’Unscripted, Sean Doyle, a affirmé que Disney recherche de « grandes histoires britanniques ». Disney+, comme les autres streamers, souligne l’importance de leurs équipes locales (à l’accent « british ») : « Les décisions sont prises ici, en Europe. Beaucoup de gens ne nous croient pas quand nous disons cela, mais nous sommes vraiment autonomes. Nous avons toujours fonctionné selon le principe que les équipes locales savent mieux que quiconque ce qui va fonctionner sur leur marché local. »
« Nous voulons de grands contenus de qualité… mais cela peut prendre de nombreuses formes », a déclaré de son côté Gabriel Silver de Sky, ajoutant qu’il y a toujours chez eux une place pour des contenus idiosyncrasiques comme I Hate Suzie à côté des émissions à grande échelle.
« La fiction documentaire originale est un élément clé de notre liste croissante au Royaume-Uni, du sport à suspense aux whodunnits et à l’histoire stranger-than-fiction », a déclaré Dan Grabiner, responsable des originaux pour Amazon Studios au Royaume-Uni. « Nous sommes ravis de travailler avec des cinéastes extrêmement talentueux, qu’il s’agisse de nouveaux réalisateurs ou de légendes du genre, pour faire connaître ces histoires humaines remarquables à un public mondial. » Amazon a mis en avant son approche « très différente » de celle de ses rivaux, avec une liste plus restreinte de produits « sélectionnés » – une stratégie menée par Jennifer Salke, responsable d’Amazon Studios. Pour Georgia Browne, Amazon’s Head of European Originals « The UK is the place where people have highest propensity to consume non-English language content ».
Amazon Prime’s #LordoftheRings had a budget big enough to shoot #TopGunMaverick THREE times over. But #streaming cutbacks will hit the smaller shows. Marquee content like #HouseoftheDragon pulls in subscribers. https://t.co/E9pLRUt3jg #Edtvfest
— Dr Alex Connock (@DrAlexConnock) August 25, 2022
Le directeur général d’ITV chargé des médias et du divertissement, Kevin Lygo, a confirmé à l’occasion du festival le lancement en novembre d’ITVX qui remplacera la plateforme de streaming actuelle d’ITV, ITV Hub. « Le contenu qui sera commandé spécifiquement pour ce service […] sera plus audacieux et considéré comme un accompagnement de la chaîne linéaire traditionnelle » , a déclaré Lygo. Chaque semaine, un nouvel événement sera lancé en exclusivité sur ITVX, en plus de flux en direct.
Les thématiques en vogue sur les services de streaming (au-delà des reboots) : true crime, mariages, et de plus en plus de sport, qui devient, par la même occasion, un événement payant.
L’OPA sur les créatifs britanniques par les services de streaming américains ne fait que commencer.
Copier c’est créer – comment faire connaître les marques aux jeunes publics ?
Autre serpent de mer du festival : l’accès aux jeunes publics. Dans un monde où les jeunes se voient offrir une prolifération de choix sur YouTube et TikTok, Patrick Holland de Banijay UK a appelé à un « doublement » des dépenses pour les jeunes publics en exhortant la BBC à investir 200 millions de livres sterling par an pour BBC Three plutôt que les 80 millions actuels.
Snapchat, depuis longtemps, n’est plus la plateforme de vidéos qui disparaissent, mais renforce de plus en plus la création de contenus originaux. Amanda Krentzman, Head of International Original Series, et Lucy Luke, Head of UK Partnerships chez Snap Inc. ont échangé avec Sam Barcroft, l’un des pionniers de la création de contenus originaux pour les réseaux sociaux, sur la stratégie contenus de Snap et la volonté de développer des séries en dehors des Etats-Unis. « Come to be informed and entertained » est désormais la devise de l’entreprise d’Evan Spiegel , qui teste, avec ses 800 partenaires, du contenu court premium dans Discover : news highlights (pas de news), entertainment, sports.
Pour Snap, le contexte très interruptif de la consommation sur smartphone, appelle un contenu immersif (et bien-sûr court, 5-7 minutes) qui doit être animé par la mission de « Changer le monde » (rien que cela). Tricot et athlétisme olympique y sont connectés grâce à Tom Daley, Anthony Joshua raconte son combat pour se sortir de ses conditions et They wanna get better explique l’histoire de troubles mentaux. Snapchat met en avant son accompagnement des producteurs pour proposer le bon format, le plus authentique possible, face à la caméra pour créer un lien intime et engageant à travers le smartphone.
Dans une autre table ronde, Dan Biddle, Strategic Partnerships Manager [Entertainment] de Meta et Rich Waterworth, General Manager de TikTok, ont souligné le changement de paradigme avec des publics qui ne sont plus seulement des consommateurs de contenu, mais aussi des producteurs de contenu. Il ne suffit plus aujourd’hui de montrer les coulisses des programmes à succès, mais il faut créer un réel engagement, une véritable relation – qui passe aussi par l’appropriation des contenus. Pour Rich Waterworth, il faut passer de l’idée « Ils piratent nos affaires » au constat de succès que la marque fait partie intégrante du lexique des jeunes, le piratage n’étant au fond que la preuve de la popularité d’un programme (un modèle économique pas forcément partagé par les producteurs de contenus).
Waterworth a insisté sur le concept de « l‘engagement actif » : « Si vous avez un contenu que les spectateurs peuvent utiliser et avec lequel ils peuvent jouer, ils se sentent proches de ce contenu, pas seulement en le regardant, mais parce qu’ils sont actifs et qu’ils remixent et partagent avec d’autres, cela leur donne intrinsèquement une proximité qu’ils veulent continuer à partager et dont ils font partie, ce qui les fait passer d’un public passif à un public actif. » TikTok se positionne aussi sur un volet nouveau : « not only make people laugh, but also learn », et a réinsisté sur son ADN : l’importance de l’engagement par la musique (cf. Kate Bush et Stranger Things). Dan Biddle de Meta, ancien de la BBC, a mis en avant le côté social des publics, qui ont envie de partager des contenus ‘Open Source’ (quitte à mixer les marques entre-elles). Il a par ailleurs vaguement évoqué l’importance de la réalité augmentée pour créer de l’engagement (il y aurait définitivement une place pour Dan Snow’s History Hit), sans aller dans le détail, et n’a pas parlé du tout du métavers…
Digital Media Killed the TV (Guide) – réseaux sociaux et télé, des vases communicants
Comment les téléspectateurs naviguent-ils sur une multitude de plateformes pour découvrir ce qu’ils aiment ? Alors que les streamers et les diffuseurs occupent un marché de plus en plus encombré (24 plateformes de streaming au UK) et que l’on passe en moyenne 4 jours par an pour chercher un contenu à regarder tout en faisant défiler la hauteur de Big Ben sur l’écran de notre smartphone chaque jour, à qui les jeunes téléspectateurs font-ils confiance pour décider de ce qu’ils vont regarder ensuite ?
LADbible a présenté à Edimbourg une récente étude menée auprès de la génération Z sur sa façon de découvir des contenus, avec quelques résultats amusants, qui soulignent le décalage générationnel dans la façon de chercher et trouver des programmes à voir. Pour la génération Z, ‘Regarder la TV’ serait en effet la deuxième activité la plus importante après ‘Ecouter la musique’, mais tout le monde n’entend pas la même chose sous « Watching tv content ». Pour les 18-34 ans, n’importe quel contenu long regardé à la télé y est compris.
Les réseaux sociaux sont la première source de découverte de contenus, avant le bouche-à-oreille, avec Instagram en tête, suivi par TikTok. Une majorité fait d’ailleurs plus confiance à une recommandation par des amis que par l’algorithme de Netflix (même si celui-ci reste le plus plebiscité parmi les algorithmes des plateformes de streaming). Et la moitié d’entre-eux est submergé par la masse de contenus, à tel point qu’ils regrettent les « guides tv » qu’ils feuilletent avec leurs grands-parents ou de se résigner à revoir des programmes déjà visionnés.
Avec des talents qui naviguent de plus en plus entre les univers en passant du digital à la télé et de la télé au digital, la compréhension de l’écosystème et de son ADN s’élargit et réseaux sociaux et télévision se mettent réellement à fonctionner en vases communicants.
En conclusion
Qu’il s’agisse de remarques désobligeantes sur le « passage au micro-ondes d’anciens programmes », de la bataille entre impartialité et vérité ou des tentatives de Netflix de s’affirmer comme le lieu de prédilection des producteurs britanniques, le festival de la télévision d’Édimbourg a une nouvelle fois donné lieu à de nombreux débats dont certains ne font que commencer, et dont d’autres sont vitaux pour la survie du service public. Pour l’acteur écossais Brian Cox il s’agira d’un combat dans lequel « il faut établir et maintenir des normes » , et la plupart des participants (y compris les représentants du gouvernement) étaient d’accord que l’enjeu principal est d’atteindre les publics avec un excellent contenu sur la plate-forme de leur choix et de ne pas chercher « à plaire au gouvernement », mais plutôt à plaire aux publics, en particulier à ceux qui se sentent mal desservis, en mettant en avant les talents locaux. La télévision en Grande-Bretagne n’est, pour l’instant, pas encore prête à accepter la prise de pouvoir des Américains.
NFT et métavers, idéation ou idée concrète ?
Cette fin de semaine est marquée dans le monde de l’innovation et des startups par la tenue de la 6ème édition de Viva Technologie à Paris. Une occasion de faire le point sur les dernières avancées du milieu de la tech en termes de métavers et de NFT. Le salon avait annoncé son intention de se pencher sur le Web 3 et le métavers, des domaines qui font beaucoup parler d’eux mais qui pourraient, à l’heure actuelle, encore être de l’idéation.
Par Isya Okoué Métogo, stagiaire au MediaLab de l’Information
Comme chaque début de révolution, tout commence par un besoin de définition. Vivatech ne fait pas exception à la règle et des workshops ont été proposés dès le début des festivités pour éduquer et informer sur la blockchain, le métavers et les NFT. Pour ces dernières, c’est Poap qui s’en charge. La start-up française propose d’approcher les NFT par la collection et l’appartenance à une communauté. Pour rallier des adeptes, ils développent des NFT qui attestent la participation à des évènements, comme leurs workshops. Une manière ludique de digitaliser une expérience et un souvenir.
Comme chez Poap, le besoin de lien avec la réalité n’est jamais très loin pour beaucoup de concepts proposés au salon. Bien souvent, les NFT sont approchés comme une valorisation de biens matériels ou d’expériences, qu’il est possible de sentir et de posséder « pour de vrai ». Elles apparaissent alors comme un prolongement ou une expérience parallèle. Lito, une entreprise autrichienne, propose ainsi des répliques de tableaux d’art réalisées grâce à des scans de pointe. L’intérêt d’une telle réplique, au-delà de la possibilité de pouvoir par exemple posséder chez soi une version identique à son tableau préféré, est de bénéficier de la certification et la valeur de son objet par un NFT dans une blockchain. La possession d’un objet bien réel est ainsi prouvée, de manière digitale.
Face à la menace d’intangibilité croissante de ce qui nous entoure, cette sécurité de la possession d’un bien est au cœur des préoccupations des consommateurs, mais aussi des entreprises. Publicis a saisi l’opportunité de Vivatech pour mettre en avant la possession de la data pour le management et le marketing. Menacé par la spoliation de ressources des différentes plateformes et hébergeurs, l’utilisation de blockchain apparait comme une solution au développement d’un management first party de ses données. L’objectif ? Rester concurrentiel, devenir plus indépendant et bâtir une relation différente avec les consommateurs souvent méfiants quant à la collecte de leurs données.
Comme dans chaque nouvel écosystème, les marques s’intéressent beaucoup au développement de nouvelles opportunités de revenus : de la plus-value pour leurs consommateurs. Le métavers n’en est pas exempté et le luxe plonge de manière proéminente sur le sujet. L’objectif est de se servir de cette innovation pour étendre le parcours client, une manière de profiter de la nouvelle innovation et d’y faire venir sa cible. L’hameçon pourrait fonctionner puisque l’industrie du luxe est caractérisée par la rareté et l’envie toujours plus grande de contact entre un client et une marque prestigieuse. Le besoin de reconnaissance mais aussi d’exclusivité et de proximité avec la marque qui nourrit la clientèle du secteur est propice au développement du métavers.
LVMH a su en faire l’illustration tant sur ses conférences que par ses innovations présentées. Les interventions des cadres des différentes Maisons du groupe se sont déroulées dans un microvers animé par Livi, l’ambassadrice virtuelle de la marque, devant un auditoire attentif. Les différentes Maisons ont présenté leurs innovations, dont plusieurs en lien avec les NFT. C’est le cas de Guerlain et de Bulgari, qui a pour cette dernière exposé une montre dotée d’un QR code qui mène à un NFT alliant certificat d’authenticité sur la blockchain et contenus exclusifs. LVMH n’est d’ailleurs pas le seul à avoir flairé l’opportunité que peut constituer métavers et NFT pour le luxe. La marque Pinko s’est également lancée dans l’aventure avec une présentation de la campagne de sa collection pour octobre prochain. Cette dernière sera lancée dans et pour le métavers, dont les sacs sont des NFT à personnaliser.
Ces avant-goûts de ce qui est possible dans le métavers sont poussés par un développement fulgurant de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée. Un premier pas dont s’est saisi Meta, qui y a concentré l’ensemble de son espace à Vivatech. Un aperçu des grands projets de Mark Zuckerberg a été proposé aux visiteurs avec la présentation de dispositifs collaboratifs et collectifs de réalité virtuelle avec l’aide du dernier Qwest. Microsoft de son côté a présenté des outils permettant d’utiliser la VR pour des studios virtuels 3D.
Les arts semble être un bon vecteur de transition entre VR et métavers. Le divertissement permet de tester les innovations mais aussi de les pousser à leur maximum, le jeu vidéo peut en être témoin. Mais le gaming n’est pas la seule activité ludique propice aux débuts du métavers. La start-up française Studio 11 s’attaque à la musique, en proposant des concerts dans le métavers et l’achat de NFT représentant des chorégraphies uniques à incorporer, par exemple, sur Tiktok.
Ce que l’on retient de ce tour d’horizon, sont surtout les débuts timides du métavers et des NFT. La quête à l’idée concrète passe par des idéations, nourries par les avancées des réalités virtuelles et augmentées. Or, comme l’ont montré de nombreux débats lors de ces premiers jours à Vivatech, il n’est pas si évident de se séparer totalement du monde physique, notamment parce que cette séparation pose de nombreuses questions éthiques et n’apparait pas toujours comme nécessaire. La faible pénétration des NFT et du métavers chez le public a été soulignée, et la réponse que beaucoup apportent sont les start-ups par la vision d’avenir qu’elles apportent. A elles donc de s’y plonger, la course a déjà commencé.
Reuters Digital News Report : la ‘News Fatigue’ s’installe
L’édition 2022 du Digital News Report du Reuters Institute analyse, comme chaque année, les tendances dans l’information à partir d’une enquête en ligne menée auprès de plus de 90 000 consommateurs d’informations numériques dans 46 pays. Le déclin incessant de la consommation des sources d’information traditionnelles – télévision, radio et presse écrite et l’importance croissante des médias numériques et sociaux se dessinent depuis sa première édition il y a 10 ans, une tendance accélérée ces dernières années sur fond d’environnement médiatique plus numérique, mobile et dominé par les plates-formes, avec des implications pour les modèles économiques et les formats du journalisme.
Par Kati Bremme, Innovation & Prospective
Quand l’année dernière, le besoin d’information autour de la pandémie mondiale avait un impact positif sur le secteur de l’information, avec une consommation plus élevée et un regain de confiance au milieu d’une deuxième vague de confinements, où de nombreuses marques d’information traditionnelles avaient bénéficié d’une plus grande attention, d’une croissance des abonnements en ligne et d’annonceurs cherchant à s’associer à un contenu fiable, cette année, malgré le (ou peut-être à cause du) contexte de la guerre en Ukraine, le rapport observe un évitement croissant de l’information, même dans des pays comme la Pologne et l’Allemagne qui sont directement touchés par le conflit. Le changement du comportement des plus jeunes, en particulier les moins de 30 ans, que les rédactions ont souvent du mal à atteindre, est un autre thème central du rapport de cette année, avec la polarisation des audiences et la nécessité vitale de diversification des revenus.
« In countries like Brazil and Germany, the proportion of 18–24s not following the conflict at all is particularly high compared with other age groups »
Read our chapter on perceptions of media coverage of the #UkraineRussianWar https://t.co/SAy6hrjLXD
— Reuters Institute (@risj_oxford) June 16, 2022
Voici six évolutions que les éditeurs ne peuvent se permettre de négliger :
La news fatigue augmente
L’« évitement sélectif » de l’information est en hausse dans le monde entier, un nombre croissant de personnes évitant délibérément des contenus souvent considérés comme difficiles et déprimants. L’intérêt pour les actualités en général a fortement diminué, passant de 63 % en 2017 à 51 % en 2022. Les sujets récurrents, la politique, de la guerre en Ukraine ou de la pandémie, incitent le public à se déconnecter plus fréquemment. On le voit en France en ce moment : la consommation d’information se fait naturellement le miroir du taux de participation aux élections législatives et d’une démocratie mise en danger.
La proportion qui dit éviter les informations, parfois ou souvent, a doublé au Brésil (54 %) et au Royaume-Uni (46 %) depuis 2017. Aux États-Unis, l’augmentation est plus faible : 42% des répondants américains ont déclaré qu’ils « évitent parfois ou souvent activement les nouvelles » en 2022, contre 38% en 2017.
Pour éviter la fuite des lecteurs, les éditeurs devront diversifier les contenus et les tons. Il s’agit là d’un défi, selon les auteurs du rapport, puisque le public souhaite – et attend – en même temps que les médias couvrent des sujets difficiles. Trois domaines auxquels les journalistes et les éditeurs peuvent s’attaquer : l’accessibilité, la négativité et les biais.
L’information étant généralement produite pour les consommateurs initiés, il s’agirait de rendre le contenu des actualités plus accessible et plus facile à comprendre en évitant le jargon, en fournissant davantage d’explications, en renforçant les formats questions / réponses, et en produisant du contenu factuel pour les formats vidéo et podcast. Le journalisme de solution comme solution d’engagement est une autre tendance explorée par les auteurs du rapport. Enfin, les médias doivent rétablir la confiance et la crédibilité. Plus d’un quart (29 %) des personnes qui évitent les informations pensent que celles-ci ne sont pas dignes de confiance ou sont biaisées. Ce chiffre s’élève à près de quatre personnes sur dix (39 %) aux États-Unis. Seule la Finlande reste un pays où le niveau de confiance global est le plus élevé (69 %).
L’importance des données first party
Les entreprises de presse demandent désormais presque systématiquement une adresse électronique avant de pouvoir consulter le contenu ou accéder à des fonctions supplémentaires telles que les commentaires. Dans certains pays (Portugal, Finlande et Suisse), les éditeurs ont collaboré pour fournir un système de connexion unique qui fonctionne sur plusieurs sites et applications en ligne. Mais comment le public perçoit-il ces questions ?
Alors que la collecte de données de première partie devient plus importante pour les éditeurs avec la disparition imminente des cookies tiers, la plupart des consommateurs sont encore réticents à enregistrer leur adresse e-mail auprès des sites d’information. Sur l’ensemble de l’échantillon de l’étude, seul un tiers environ (32%) déclare faire confiance aux sites d’information pour utiliser leurs données personnelles de manière responsable – ce qui est comparable à Amazon – et ce chiffre est encore plus bas aux États-Unis (18%) et en France (19%).
TikTok monte, Facebook descend
Facebook reste le réseau social le plus utilisé pour les informations, mais les utilisateurs sont plus susceptibles de dire qu’ils voient trop d’informations dans leur fil d’actualité par rapport aux autres réseaux, même si Facebook déclare que seulement 4 % du contenu du fil d’actualité d’une personne moyenne provient d’organes d’information. Alors que les plus âgés restent fidèles à la plateforme, la plus jeune génération a porté une grande partie de son attention sur des réseaux plus visuels au cours des trois dernières années.
TikTok est devenu le réseau qui connaît la croissance la plus rapide dans l’enquête de cette année, atteignant 40 % des 18-24 ans, dont 15 % utilisent la plateforme pour les actualités. L’utilisation est beaucoup plus importante dans certaines régions d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique qu’aux États-Unis ou en Europe du Nord. Telegram a également connu une croissance significative sur certains marchés, offrant une alternative à WhatsApp, propriété de Meta.
« TikTok est une source d’actualités que je finis par consommer parce que je fais souvent défiler TikTok pour d’autres raisons, mais l’algorithme finit quand même par fournir des actualités« , a déclaré une Américaine de 22 ans.
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine a accru la visibilité de TikTok au niveau mondial. Des Ukrainiens y ont documenté leur expérience de la guerre. De nombreux éditeurs ont augmenté leurs investissements, mais certains crestent réticents face à l’algorithme chinois. BBC News avait initialement décidé d’éviter TikTok, mais a maintenant mis en place des chaînes en russe et en anglais pour contrer les fake news autour de la guerre en Ukraine.
Les journalistes doivent-ils rester impartiaux sur les médias sociaux ?
Alors que les journalistes sont de plus en plus nombreux sur les médias sociaux, le débat s’intensifie sur la manière dont ils doivent interagir sur des plateformes telles que Facebook et Twitter. Dans quelle mesure la nature informelle et personnelle est-elle compatible avec les approches impartiales ou objectives pratiquées par de nombreuses marques de médias ? Comme l’année dernière, environ la moitié des répondants ou plus dans la plupart des pays estiment que les journalistes devraient s’en tenir à rapporter les informations, mais une minorité non négligeable pense qu’ils devraient être autorisés à exprimer en même temps leurs opinions personnelles sur les médias sociaux, notamment les plus jeunes. Alors que certains médias renforcent les directives relatives aux médias sociaux, elles se heurtent à la résistance de jeunes journalistes qui ont un point de vue différent et tentent de repousser les limites.
Diversification des accès
L'accès aux actualités continue de se diversifier, selon les générations et les cultures. Sur l'ensemble des marchés, moins d'un quart (23 %) préfèrent commencer leur parcours d'actualités par un site web ou une appli, soit une baisse de neuf points depuis 2018. Les 18-24 ans ont un lien encore plus faible avec les sites web et les applis, préférant accéder aux actualités par des voies secondaires telles que les médias sociaux, la recherche et les agrégateurs mobiles.
La jeune génération, qui a grandi avec les médias sociaux est très différente que celle qui l'a précédée - avec un lien beaucoup plus faible avec les marques traditionnelles.
La diversification des moyens d'accès aux informations "apporte [une] plus grande variété de sources et de perspectives que jamais auparavant, en particulier pour les consommateurs de nouvelles instruits et intéressés", remarque l'auteur principal du rapport, Nic Newman. "Mais en même temps, ajoute-t-il, nous constatons que ceux qui sont moins intéressés [par les nouvelles] se sentent souvent dépassés et confus."
Le smartphone est devenu le moyen dominant par lequel la plupart des gens accèdent aux informations le matin, bien que l'on trouve des modèles différents selon les pays. En Norvège, en Espagne, en Finlande et au Royaume-Uni, le smartphone est désormais le premier moyen d'accès à l'information avant la télévision, tandis que la radio conserve un rôle important en Irlande. La lecture du journal le matin reste étonnamment populaire aux Pays-Bas ; la télévision domine toujours au Japon.
Diversification des sources de revenus
Ces dernières années, de nombreux éditeurs ont redoublé d'efforts pour amener leur public à payer le contenu en ligne par le biais d'un abonnement, d'une adhésion ou de dons, afin de réduire leur dépendance à l'égard des recettes publicitaires qui, en ligne, tendent à aller vers les grandes plateformes de Google et Meta. Ces tendances sont désormais mondiales avec des éditeurs de premier plan en Argentine, en Colombie, au Japon, au Nigeria et au Kenya, par exemple, qui ont récemment lancé ou consolidé des systèmes de paiement.
L'augmentation des revenus par abonnement est un objectif stratégique clé pour la plupart des éditeurs. Mais une grande partie du profit généré ne profite qu'aux plus grandes marques nationales. Aux États-Unis, environ la moitié des abonnements payants vont à trois titres seulement : le New York Times, le Washington Post et le Wall Street Journal. Plus largement, moins d'un consommateur d'information numérique sur cinq (19 %) paie pour le contenu. Cette crise imminente des abonnements n'est pas propre aux éditeurs de presse, mais à tous les acteurs des médias. Si 14 % des utilisateurs d'informations numériques aux États-Unis pensent qu'ils auront davantage d'abonnements aux médias l'année prochaine, 14 % des utilisateurs pensent qu'ils auront moins d'abonnements au cours de la même période. En plus de la news fatigue, la subscription fatigue s'installe face à l'inflammation et aux difficultés des ménages.
La newsletter info
Le phénomène du Substack qui permet à des journalistes individuels de se mettre à leur compte via des newsletters payantes, est encore très minoritaire et se limite principalement aux États-Unis. "Nous constatons que seulement 7 % des abonnés aux journaux aux États-Unis paient pour un ou plusieurs courriels de journalistes, soit environ 1 % de notre échantillon global", écrivent les auteurs du rapport. Mais là encore, on observe un gap d'usage entre les générations : tandis que les jeunes plébiscitent (et financent) ce type de journalisme indépendant, les newsletters info "classiques" "sont appréciées principalement par des consommateurs plus âgés, plus riches et plus instruits, dont la plupart sont déjà profondément investis dans l'information", notent les auteurs du rapport. "Plus de 80 % de tous ceux qui, aux États-Unis, utilisent le courrier électronique pour les infos ont 35 ans ou plus".
Autre format apprécié pour la consommation de l'information : Après le ralentissement de l'année dernière, en partie dû aux restrictions de mouvement pendant la pandémie, la croissance des podcasts semble avoir repris, 34 % des personnes interrogées ayant consommé un ou plusieurs podcasts au cours du dernier mois. Ces dernières années, Spotify, Amazon et Google ont investi dans les podcasts afin de tirer parti de la demande croissante et de briser la domination historique d'Apple dans le domaine de l'audio. La bataille pour les talents s'est intensifiée, comme en témoigne la volonté de Spotify de payer environ 200 millions de dollars pour obtenir les droits exclusifs du podcast de Joe Rogan, et de le soutenir après des querelles sur des invités controversés et des accusations de diffusion de fausses informations.
Confiance dans les médias, le cas particulier des médias publics
Les médias publics sont soumis à une pression croissante dans un certain nombre de pays, avec des attaques sur le financement, des questions sur l'impartialité et des défis pour atteindre un public plus jeune qui se tourne de plus en plus vers les médias numériques et sociaux. La BBC doit faire face à une nouvelle série de coupes après un règlement de licence difficile, tandis que DR, le radiodiffuseur public danois, vient de supprimer trois chaînes linéaires dans le cadre d'une restructuration plus large, votée par le parlement. Face à ce contexte, la confiance résiste, avec quelques exceptions très notables. Les radiotélévisions de service public nordiques ainsi que celles d'autres petits pays comme l'Irlande et le Portugal ont conservé ou même augmenté la confiance depuis 2018, mais l'histoire a été très différente au Royaume-Uni, en Australie et au Canada, avec des baisses significatives pour les principaux diffuseurs publics.
Le succès d'audience continu de certains médias publics européens en fait une cible particulière pour ceux qui veulent influencer les débats sur la politique et les questions plus larges autour de la culture. L'enquête Reuters montre que les journalistes de ces organisations sont souvent les premiers à être reconnus par le public. Laura Kuenssberg, rédactrice politique sortante de la BBC, est de loin la journaliste la plus connue au Royaume-Uni, même lorsqu'il s'agit d'informations numériques. Les radiodiffuseurs qui se sont engagés à faire preuve d'impartialité, dont la BBC, représentent 62 % de toutes les mentions.
Conclusion
Si certains médias d'information ont réussi à accroître leur audience en ligne ou à convaincre les gens de s'abonner, et ont développé de nouvelles offres en matière de podcasts, de vidéos et de newsletters, de nombreux éditeurs ont encore du mal à faire face aux changements structurels qui ravagent le secteur depuis plus d'une décennie. Ces difficultés sont aggravées par l'effritement du lien qui unit le journalisme et les médias d'information à une grande partie de la population dans de nombreux pays, miroir d'une contestation des institutions démocratiques en général. De plus en plus de personnes sont déconnectées, l'intérêt pour l'information est en baisse, l'évitement sélectif de l'information en hausse et la confiance est loin d'être acquise. La façon de consommer l'information (accès, formats, contenus) diffère de plus en plus largement entre les générations. Quand les générations anciennes préfèrent massivement la lecture en ligne, les plus jeunes se tournent de plus en plus d'une consommation d'information sous forme de vidéos courtes.
Dans un monde de plus en plus incertain, avec la guerre en Ukraine et une crise majeure des réfugiés qui s'ajoutent à l'impact de la pandémie, sans parler de la menace imminente du changement climatique, le besoin d'informations fiables, d'un contexte sécurisé et d'un débat posé a rarement été aussi grand. Les crises de ces dernières années ont incité les éditeurs à adopter de nouveaux modèles économiques, de nouvelles méthodes de narration et de distribution, le seul moyen pour pallier à une news fatigue de plus en plus importante.
🧵 The day after the launch of the Digital News Report 2022, we highlight some of the articles and threads published about our findings in this thread #DNR22
🖥️ Read the report: https://t.co/ehKrEjBeSl
— Reuters Institute (@risj_oxford) June 16, 2022
Illustration Louis Cortes sur Unsplash