Le Medialab de l’AFP : la vérification de l’info et l’UX au cœur de l’innovation journalistique

Billet originellement publié sur media-innovation.news, il est présenté dans le cadre d’un partenariat éditorial entre WAN-IFRA et Méta-Media. © [2018] Tous droits réservés.

Le Medialab de l’AFP, qui réunit une petite équipe de journalistes et d’ingénieurs, propose des expériences utilisateur innovantes pour valoriser les contenus de l’AFP, à travers des vidéos interactives ou encore un affichage automatique de la géolocalisation des informations, et développe de nouveaux outils pour les salles de rédaction, notamment dans la vérification des images et des vidéos diffusées sur internet et les réseaux sociaux.

L’AFP est une agence d’information mondiale fournissant une couverture rapide, vérifiée et complète en vidéo, texte, photo, multimédia et infographie des événements qui font l’actualité internationale. Des guerres et conflits à la politique, à l’économie, au sport, au spectacle jusqu’aux grands développements en matière de santé, de sciences ou de technologie. Ses 2.400 collaborateurs, de 80 nationalités différentes, répartis dans 151 pays, rendent compte en 6 langues de la marche de la planète, 24 heures sur 24.

Le Medialab de l’AFP est un héritage de l’ancienne direction du développement multimédia créée à la fin des années 1990. La priorité à l’époque était de développer la production de contenus multimédias de l’agence. Aujourd’hui, même si les priorités sont fixées par le comité d’innovation de l’AFP, le Medialab se concentre sur la conception de nouvelles UX autour des contenus de l’agence et développe des outils pour répondre aux problèmes concrets des journalistes.

« Notre travail en matière de vérification de l’information se base sur la méthodologie du design thinking afin que l’innovation reste centrée sur l’utilisateur. Nous observons les utilisateurs travailler pour déterminer comment les aider à être plus efficaces et optimiser les processus chronophages », explique Denis Teyssou, responsable éditorial du Medialab de l’AFP.

Des outils pour la rédaction

crosscheck

Par exemple, la participation au projet CrossCheck (sur la vérification de l’info pendant la campagne présidentielle de 2017) a permis au Medialab de mieux comprendre les difficultés rencontrées par les rédactions partenaires. Ce travail a abouti en juillet 2017 à la diffusion d’une extension de navigateur (sous Chrome et Firefox) permettant de vérifier des images et des vidéos et de démystifier des fausses nouvelles. Cet outil, téléchargé plus de 2000 fois, est devenu huit mois après une référence non seulement chez les journalistes mais aussi chez les militants des droits de l’homme et les éducateurs aux médias.

« L’émergence des contenus UGC (photos, vidéos, et autres documents créés par les utilisateurs) est l’une des évolutions les plus intéressantes du secteur de l’information-communication ces quinze dernières années », affirme Denis Teyssou. « Et cela crée une nouvelle difficulté : celle de vérifier les contenus créés par le public. »

Pour répondre à ce défi, le Medialab travaille actuellement sur le projet InVID, financé par le programme européen Horizon 2020, un outil de vérification contextuelle et de vérification des droits d’usage des vidéos postées par les utilisateurs sur les réseaux sociaux. Un projet auquel d’autres structures comme l’agence de presse autrichienne et sa filiale technique APA-IT ou encore le broadcaster extérieur allemand Deutsche Welle participent.

Le Medialab de l’AFP a déjà à son actif huit projets de recherche et d’innovation et a développé des prototypes très novateurs comme EarthNews (un outil de localisation des informations sur un globe 3D de la NASA) ou AFP4W (un moteur de recherche d’événements médiatiques qui permet de créer des frises chronologiques ou encore des livres électroniques en quelques clics). Lorsqu’un projet de recherche est terminé et que la technologie est mature, le Medialab s’efforce de la tester sur le terrain pour proposer des solutions concrètes aux rédactions. L’idée, pour Denis Teyssou, est de ne pas en rester au stade de l’invention, mais plutôt de passer de l’invention à l’innovation.

C’est notamment avec cette approche que le Medialab a développé son outil AFP Transcriber en collaboration avec la société Vocapia, une PME essaimage du laboratoire LIMSI du CNRS. Les journalistes de l’AFP peuvent désormais l’utiliser pour retranscrire leurs vidéos, interviews et conférences de presse : l’application envoie un fichier mp3 à Vocapia et reçoit une retranscription. Ces retranscriptions sont régulièrement améliorées grâce à l’apprentissage par la machine des néologismes et des noms propres qui apparaissent chaque jour dans les fils d’actualité. La technologie permet de travailler dans une vingtaine de langues différentes, à condition d’avoir des enregistrements audio de qualité suffisante.

« La retranscription d’interviews est l’une des tâches les plus fastidieuses du journaliste. Désormais, vous pouvez arriver avec une heure d’interview et repartir avec une transcription en quatre ou cinq minutes. En plus, la transcription est synchronisée avec la vidéo, donc vous pouvez cliquer sur un mot pour lancer la vidéo ou l’enregistrement audio à cet endroit précis. »

L’application est actuellement utilisée dans les services Vidéo et Politique de l’AFP, et devrait être utilisée à terme pour les archives des vidéos de la rédaction.

Innovation « user-centric » et méthodologie du design thinking

Les activités du Medialab se concentrent sur l’expérimentation de nouvelles technologies et sur l’innovation dans les produits, les processus et les services, sans jamais perdre de vue l’intérêt de l’utilisateur. Mais recueillir leur feedback n’est pas toujours facile : le processus itératif demande du temps et les utilisateurs, essentiellement des journalistes, ne sont pas souvent disponibles – même s’il est plus facile d’en trouver dans une grande rédaction comme celle de l’AFP. D’autant plus que le Medialab a pris ses quartiers au cœur de la salle de rédaction, entre les départements vidéo et infographie.

« Nous avons réussi à organiser des sessions de tests et de démonstrations avec quelques dizaines de journalistes de l’AFP. Même s’ils ont peu de temps à y consacrer, leurs retours sont positifs. Les plus technophiles d’entre eux apprennent plus vite, tandis que les autres ont besoin d’un peu plus de temps. Mais quand les outils répondent directement à un besoin concret, comme AFP Transcriber, nos collègues sont très enthousiastes. »

Innover à l’AFP

Même si le Medialab présente régulièrement ses réalisations au comité d’innovation interne, il conserve une véritable indépendance au sein de l’AFP, dans l’esprit d’un labo de R&D. Son travail est largement soutenu par des fonds publics européens (Horizon 2020 pour InVID) ou nationaux (l’Agence Nationale de Recherche ou le ministère de l’Economie). C’est le cas du projet ASRAEL, un moteur de recherche d’événements basé sur l’extraction des données par le traitement automatique du langage et du web sémantique.

L’avantage d’appartenir à une agence de presse internationale comme l’AFP est l’immense quantité de contenus produits, dans toutes les langues. Une mine d’or de textes, de vidéos, d’infographies et d’images à la disposition du Medialab pour le développement de ses projets. Les liens de l’AFP avec l’Etat et son prestige mondial facilitent également la coopération avec des universités et des laboratoires : « Les contenus de l’AFP sont attractifs pour le monde de la recherche. Quand vous lancez un projet et que vous avez accès à nos contenus, cela vous fournit un matériau très riche pour travailler. »

Avec les nouveaux formats narratifs qui émergent (interaction, immersion, vidéo 360°, AR/VR…), le Medialab est convaincu que la recherche doit plus que jamais se concentrer sur l’expérience utilisateur. « Nous savons que l’industrie rencontre des difficultés et nous savons que la collaboration avec les start-ups ou encore la participation à des programmes de recherche collaboratifs sont autant d’opportunités de répondre à ces défis. »

 

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