Le MediaLab "Théophraste" de Sud Ouest : créer des relations avec l'écosystème régional de startups

Cet article est tiré de deux billets originellement publiés sur media-innovation.news, nous y avons intégré l’actualité récente de Théophraste. Il est présenté dans le cadre d’un partenariat éditorial entre WAN-IFRA et Méta-Media. © [2018] Tous droits réservés.

Avec un tirage à 300 000 exemplaires, le quotidien Bordelais Sud Ouest s’impose comme la deuxième offre régionale de France. Son startup lab, Théophraste, explore depuis maintenant 2 ans un nouveau modèle d’innovation en proposant aux startups locales de partager des bureaux et des ressources au sein même de l’entreprise afin d’accélérer leur développement.

Convictions et motivations

Sud Ouest a la conviction que l’innovation est en mesure d’émerger avec succès de l’intérieur de l’entreprise mais que l’innovation provenant d’une source externe peut parfois se révéler encore plus efficace en raison de la diversité dont elle est naturellement porteuse. Les startups, par exemple, ont leur propre vision, leurs propres méthodologies et leurs propres workflows. En s’ouvrant à la scène locale des startups, Sud Ouest entend promouvoir de nouvelles manières de travailler et développer de nouveaux produits via un « choc culturel ».

Lancé début 2016, Théophraste, dont le nom fait référence à Théophraste Renaudot (fondateur de l’un des plus anciens hebdomadaire français), accueille des startups pour une durée de 6 à 12 mois. Son objectif est à la fois de soutenir et d’accélérer leur développement tout en encourageant la collaboration entre l’entreprise et les startups.

Le « choc culturel » qui était attendu au lancement de Théophraste s’est finalement changé en une « rencontre des cultures » réussie. Une rencontre entre les compétences métiers des équipes de Sud Ouest et l’esprit entrepreneurial des startuppers. Un Hackathon, au cours duquel les journalistes et les entrepreneurs se rencontrent, a ainsi constitué un véritable tournant dans la construction de relations solides. Ce succès les a amenés à réitérer l’expérience à l’automne suivant. De plus, les employés de Sud Ouest ont été invités à répondre aux questions des entrepreneurs sur la base du volontariat. Résultat, de nombreuses rencontres en face-à-face ont lieu et permettent à chacun d’en apprendre plus. D’après Guillaume Vasse, responsable du développement digital et du marketing pour le groupe Sud Ouest, de nombreuses relations se sont ainsi tissées sans même qu’il ne soupçonne leur existence.

Une situation « gagnant-gagnant »

« On ne veut pas travailler avec nos startups comme on travaillerait avec des sous-traitants » souligne Guillaume Vasse. La philosophie de Sud Ouest est très claire, l’objectif est de faire infuser l’innovation au sein de l’entreprise par l’expérimentation et la collaboration, et non pas uniquement pour initier une énième relation client-prestataire. Les startups auront l’opportunité de travailler et de collaborer avec un grand groupe média. Cela leur fournit un accès à un éventail de compétences parmi lesquelles se trouvent la communication, l’expérience utilisateur, la production et le digital. L’intérêt pour Sud Ouest est de découvrir de nouvelles façons de penser et de travailler qui tranchent particulièrement avec celles des grandes entreprises.

Disposer d’une si grande proximité entre des startups et l’entreprise offre un avantage décisif. L’une de ces startups leur a ainsi ouvert de nouvelles perspectives inattendues concernant leur site web d’information. Ils ont remarqué que le paywall n’était pas immédiatement visible sur la page. À cause de ce ralentissement de l’expérience, les visiteurs arrivaient sur la page puis la quittaient immédiatement. Après la mise en place du paywall de la startup POOOL, le taux d’engagement a considérablement augmenté. En outre, la startup propose à Sud Ouest de collecter d’autres types de données qui leur permettront de se faire une meilleure idée de ce que les utilisateurs font véritablement sur leur site.

Jusqu’ici, les plus grands succès en matière d’innovation concernent des sujets business tels que les paywalls et la génération de leads. Mais au début de l’année, une startup davantage orientée contenus et services a été sélectionnée. Cette startup, Kapp10, est une plateforme de services digitaux pour les organisateurs d'événements sportifs. Elle dispose d’une forte communauté et pourrait constituer une aide de taille pour un journal comme Sud Ouest qui accorde une importance particulière au sport dans ses publications et organise justement des événements sportifs.

Méthodologie

La mise en oeuvre du projet s’est faite en deux étapes. La première a été de tisser un partenariat avec un incubateur régional de startups basées à Lyon et à Bordeaux : 1Kubator. Sud Ouest héberge l’incubateur ainsi que leurs startups dans leurs bureaux et les équipes d’1Kubator participent activement à la création de l’accélérateur de Sud Ouest.

« Cette première période a été un succès car la curiosité a commencé à prendre le dessus très tôt dans notre équipe qui se renseignait au sujet des startups 1Kubator avant même que le programme Théophraste ne débute », raconte Guillaume Vasse.

La seconde étape était de créer leur propre programme d’accélération. Le concept est de louer des espaces de travail à une poignée de startups sélectionnées après un premier appel à projet qui remonte à mai 2016.

Bien qu’il n’y ait pas d’idée préconçue concernant le type de startups recherché, pour être sélectionnées, celles-ci doivent :

  • Disposer d’un statut légal ;
  • Avoir un « proof of concept » ;
  • Être un média ou avoir un lien avec le secteur.

Le jury, constitué à la fois des équipes de Sud Ouest et d’1Kubator prenait aussi en considération les compétences individuelles, la dynamique de groupe ainsi que l’originalité du projet et la volonté de chaque équipe.

« Le projet dépend des gens qui le mènent. Si tu as un bon projet, mais une mauvaise équipe, ça ne marchera pas », estime Guillaume Vasse.

Pas moins de quinze jeunes pousses ont ainsi candidaté pour intégrer la quatrième promotion de Théophraste. Sept parmi elles ont été retenues pour "pitcher" face au jury, qui en a finalement sélectionné quatre.

Les startups sélectionnées bénéficient ensuite :

  • D’une période d’accélération de 6 à 12 mois (si cette période est si flexible, c’est qu’elle dépend du succès de l’accélération) ;
  • D’un accès à des mentors (issu de Sud Ouest, de l’1Kubator mais aussi de l’externe avec des équipes juridiques, provenant d’autres industries etc.) ;
  • D’un accès au réseau de l’éditeur et à ses compétences (publicité, contenus et services, logistique etc.) ;
  • De la possibilité de tester l’écosystème d’une véritable entreprise média (data, beta testeurs) ;
  • D’une connexion aux réseaux régionaux, nationaux et internationaux d’innovation (Bordeaux French Tech, le réseau GAMI de WAN-IFRA) ;
  • D’une aide à la levée de fonds.

Les clés du succès ?

Le succès de Théophraste repose probablement sur la culture d’entreprise préexistante chez Sud Ouest qui a soutenu l’innovation locale et la scène startup pendant des années avant de lancer cette initiative (reportages sur l’innovation tech ou dédiés aux startups, participation au startup weekends). Sud Ouest a la conviction que gagner en légitimité est important pour la crédibilité du projet.

Guillaume Vasse conseille : « Ne faites pas appel à des startups uniquement parce que c’est ce qui se fait en ce moment ».

Théophraste a fait en sorte d’acquérir une certaine position au sein de l’écosystème startup de Bordeaux. Le but est de connecter les startups de l’accélérateur avec l’ensemble du réseau :

« Nous pensons que c’est à travers les mises en relation que vous pouvez parvenir à accélérer en tant que startup. Et c’est aussi très bon pour nous, car cela nous place au centre du jeu, dans une situation où nous faisons partie du tout, au lieu d’être de simples observateurs. » 

Une nouvelle section dédiée à l’écosystème startup de Bordeaux a été ajouté sur le site web, cela leur donne une certaine légitimité pour attirer de nouvelles startups, mais il ne s’agit pas uniquement de faire bonne figure. L’important pour acquérir de la crédibilité, c’est de ne pas seulement impliquer les équipes de sa propre entreprise, mais bien l’ensemble des acteurs de l’écosystème.

De nombreuses trajectoires n’avaient pas été prévues initialement mais elles sont aujourd’hui devenues des activités à part entière du programme :

« Il ne s’agit pas d’un projet que nous avions pensé dans ses moindres détails. On apprend tous les jours. On avait imaginé au départ un certain nombre de choses, certaines ont vu le jour, d’autres non. Je n’imaginais pas que cette initiative nous permettrait de développer des liens aussi forts avec l’ensemble des écoles de Bordeaux par exemple. Nous sommes extrêmement sollicités pour intervenir dans ces écoles ou pour organiser des visites. Le directeur d’une d’entre elles a même donné son accord pour que deux étudiantes viennent incuber leur projet de startup chez nous à la place de leur stage », explique Guillaume Vasse.

Une initiative bénéfique en terme d’image

L’un dans l’autre, les programmes d’innovation sont bénéfiques pour l’image de l’entreprise et constituent une source de fierté pour de nombreux employés :

« Par exemple, à chaque fois que l’un de nos commerciaux a un rendez-vous avec un annonceur ici chez Sud Ouest, la rencontre se termine avec une visite de l’accélérateur. Et l’un de nos commerciaux m’a récemment dit qu’il était très fier d’accueillir des annonceurs ici et de leur faire visiter notre accélérateur, car cela prouve que notre entreprise évolue. Qu’elle conduit l’innovation et n’est pas à la traîne. Et je pense que c’est très important. 

Des entreprises, et même des politiciens viennent pour voir ce que nous faisons chez Sud Ouest. Ils sont intrigués car nous sommes plus qu’un journal. L’ancien ministre de l’Économie et l’actuel Président, Emmanuel Macron sont venus pour ça.»

Et après ?

Théophraste dispose de nombreux projets pour la suite tels que le lancement d’une blockchain appliquée au secteur des médias avec la startup InBlock qu’ils accélèrent. Par ailleurs, ils préparent activement une offre « media for equity » pour les startups. Ce type d’offre repose sur un échange d’espace publicitaire contre des parts de capital. Pour eux, l’intérêt est de construire un partenariat solide avec une startup qu’ils considèrent comme prometteuse et avec laquelle ils souhaitent s’engager plus fortement qu’au travers d’un simple partenariat commercial. Pour les startups, il s’agit d’un moyen commode d’accéder à une visibilité utile en période d’accélération. À suivre !

 

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