Tendances médias : 10 choses à retenir de l'été

Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Media Lab et Prospective

L'été touche à sa fin et l'on espère que vous avez bien déconnecté ! Nous avons veillé et gardé un œil pour vous sur les médias et nouvelles plateformes tout au long de l'été pour une rentrée en douceur. 

1La frontière entre télévision linéaire et à la carte s’estompe 

En France, l’écoute de la télévision (direct et le rattrapage via le téléviseur) a baissé de 9 minutes au premier semestre en France, selon Publicis Media.

Selon le dernier rapport de FreeWheel sur le marché vidéo du quatrième trimestre 2018, la ligne de démarcation entre télévision linéaire et télévision numérique est en train de disparaître. En Europe, les éditeurs continuent de monétiser lourdement les directs, avec un nombre de visionnages de publicités en direct qui a plus que doublé par rapport à l’année précédente, le sport représentant plus de la moitié (55%) du nombre total de visionnages de pub en direct. A noter que le visionnage de publicité sur TV connectée pèse pour 40% désormais.

Mais c’est sur le terrain de la SVOD que la bataille s’annonce la plus féroce. Netflix a perdu des abonnés au 2e trimestre. Une première depuis 2011 ! Alors qu’un tiers des abonnés Netflix se disent prêts à changer de plateforme SVoD, Disney a confirmé le lancement en novembre prochain de Disney + , son service de streaming à 6,99 dollars par mois ainsi qu’un abonnement groupé aux trois services du groupe, Disney +, ESPN + et Hulu pour 12,99 dollars par mois, AppleTV+ serait lancé en novembre autour de 10 euros par mois, Salto début 2020…

A surveiller donc, les nouvelles stratégies de bouquets destinée à appâter le public, qui, au final, va une fois de plus devoir payer pour des contenus qu'il ne regarde pas. Le nouveau monde de la TV ressemble de plus en plus à l'ancien pour cela.

De leur côté, les géants de la tech, riches à milliards, produisent de plus en plus : Apple va dépenser 6 milliards pour lancer AppleTv+ , le budget de Disney est de 23,8 milliards ou 16,4 milliards si l'on exclut la part consacrée au sport et celui de Netflix va atteindre les 15 milliards cette année pour produire films et séries originales à travers le monde. Snapchat souhaite lever 1 milliard de dollars cette année pour acheter d’autres compagnies, produire plus de contenus et investir dans de nouvelles fonctionnalités en réalité augmentée. Quant à YouTube Originals, les séries passent gratuites le 24 septembre.

2Contenus : documentaires, interactivité, ASMR et cleanfluenceurs en vogue

Montée en puissance des documentaires haut de gamme sur les plateformes. Dans une interview pour The Guardian, Nick Fraser, ancien journaliste de la BBC et producteur de documentaires, affirme qu’un "très bon documentaire est plus puissant que la plupart des écrits." A l’heure où les gens ne lisent plus les journaux, beaucoup découvrent des sujets importants à travers ces œuvres. 

"American Factory", la première œuvre produite par la société de production de Michelle et Barack Obama et distribuée sur Netflix et dans certains cinémas depuis le 21 août, pourrait bien être le carton de 2019. A ne pas rater non plus, "The Great Hack" sur Netflix, le documentaire qui revient sur le scandale de Cambridge Analytica.

Depuis L'épopée du Chat Potté en 2017, Netflix semble satisfait de ses premières expérimentations de fictions interactives et a annoncé produire de nouveaux épisodes interactifs pour 3 séries jeunesse (Carmen Sandiego, Boss Baby et Last Kids on Earth)

Autre tendance qui s'affirme : l'ASMR (de l'anglais Autonomous Sensory Meridian Response). Cela fait des mois que YouTube et Instagram sont envahis de ces vidéos de bruits en tout genre sensées procurer un sentiment de bien être, de sérénité à ceux qui écoutent : slimejeux de rôle, triggers, et plus récemment le ASMR Eating, par des humains ou des animaux... Cette activité peut rapporter gros et les marques s'y sont mises. Après KFC, Dove, IKEA, et Toyota, Apple s'est lancé cet été !

Quoi que l'on pense du format, il met en lumière un besoin de calme, d'intimité, de confiance et prouve la puissance de l'audio et le goût du grand public pour le son binaural.

A surveiller, la montée en puissance des "cleanfluenceurs", des spécialistes du ménage et du rangement, qui fascinent de plus en plus sur les réseaux sociaux et aussi les stars d'Instagram en quête de revenus complémentaires qui s'exposent plus ou moins nus sur OnlyFans contre un abonnement entre 5 et 25 dollars.

3L’accélération de la crise du journalisme 

Aux Etats-Unis, on ne compte plus le nombre de journaux en difficulté. Cet été, Gannett et GateHouse, les plus grands éditeurs du pays en termes de diffusion, ont enregistré de lourdes pertes de revenus et ont annoncé leur intention de fusionner. Le Los Angeles Times estime le nombre de ses abonnés numériques insuffisants pour couvrir les frais éditoriaux. La fusion entre CBS et Viacom, qui pourrait avoir de graves conséquences pour les entreprises de médias, inquiète.

Pour les bonnes nouvelles, il faut regarder du côté de The Guardian et The New York Times qui ont tous deux annoncé une croissance de leurs revenus numériques. Les paywalls dynamiques semblent aussi donner de bons résultats. 

En France, malgré une hausse des abonnements numériques, peu de médias français sont épargnés par les réductions massives d’effectifs et l’effondrement des ventes en kiosque.

Les milliardaires se disputent la presse régionale : le rachat de Nice Matin par Xavier Niel, a divisé les salariés du groupe en juillet. Les milliardaires Matthieu Pigasse et Daniel Kretinsky sont en passe d’être quasiment majoritaires du groupe Le Monde en rachetant les parts du groupe espagnol Prisa, autre propriétaire du groupe.

Adopté en mars dernier au Parlement Européen, la France est devenu cet été le premier pays à transposer le droit voisin pour les éditeurs et agences de presse. Les plateformes numériques sont censées les rémunérer pour l’utilisation de leurs contenus. L’Assemblée a également adopté la réforme de la distribution de la presse qui a pour but de la moderniser.

4Désinformation et haine en ligne sans relâche

C'est malheureusement un tendance lourde en 2019 et l'été n'aura pas connu de relâcheAlors que les sites qui colportent de fausses informations génèrent des millions de dollars en publicité, selon un rapport du Global Disinformation Index, il est de plus en plus difficile de lutter contre la désinformation en ligne. Et avec la personnalisation de plus en plus fine des contenus sponsorisés poussés par les algorithmes des grandes plateformes, il sera de plus en plus difficile pour les médias et/ou les tiers de confiance de jouer leur rôle de contre-pouvoirs.

A voir si le recrutement de journalistes par Facebook pour son futur onglet news et la possibilité sur Instagram de dénoncer la désinformation aura un quelconque effet.

En France, la loi Avia, "visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet" qui renforce les obligations des grandes plateformes, a été adoptée en juillet, non sans quelques inquiétudes.  

Les plateformes commencent à prendre des mesures restrictives: Twitter a annoncé que les tweets injurieux des personnalités publiques seront cachés. Mais pas supprimés ! Facebook lui emboîte le pas en proposant de nouveaux outils pour rendre la modération du contenu moins toxique. La plateforme va même plus loin puisque Facebook a accepté de communiquer à la justice française les adresses IP des auteurs de propos haineux.

Après la tuerie d’El Paso, le forum de discussions géré par ses utilisateurs 8chan, a fermé. La plateforme était devenue le lieu de rencontre privilégié de personnes racistes et extrémistes. Ces six derniers mois, trois auteurs de fusillades aux Etats-Unis avaient aussi publié leur "manifeste" de revendication sur 8chan. Mais la nature a horreur du vide et c’est sur Endchan, un forum concurrent, que l’auteur présumé de la fusillade d'Oslo a annoncé son attaque quelques jours plus tard.

Cette affaire relance les réflexions sur la surveillance du web et de la libre expression en ligne. En fermant des sites bien identifiés, on prend le risque d'en voir d'autres se créer et proliférer dans des recoins encore plus sombres d’Internet.

5La saga Facebook continue

Facebook est soumis à une surveillance accrue des autorités de réglementation américaines, qui s’intéressent notamment à l’achat par la firme de Mark Zuckerberg de près de 90 sociétés au cours des 15 dernières années. Dans le cadre de ces enquêtes, Instagram et WhatsApp devront changer de nom pour afficher leur appartenance à Facebook.

Côté contenu, Facebook teste l'accès par abonnement à des contenus vidéo et offre des millions de dollars aux médias qui voudront céder une licence de leurs contenus à destination d’un nouvel onglet « news » pour lequel, donc nous l'avons signifié plus haut, la plateforme va recruter des journalistes

Après avoir écopé d’une amende de 5 milliards de dollars par la FTC aux Etats-Unis pour violation de données, Facebook a lancé le 20 août "Off-facebook activity" qui permettrait de mieux contrôler les informations partagées par les applications et sites web avec la plateforme. Une approche jugée insuffisante et maladroite par certains. 

Le scandale de l’été : Facebook va devoir s’expliquer sur l'écoute de conversations Messenger retranscrites par des tiers.

En France, la plateforme de Mark Zuckerberg est en forte perte de vitesse chez les 12 à 17 ans, avec une baisse de 9,3% cette année.

6Live Streaming : la compétition ne fait que commencer

Microsoft compte bien se faire une place sur le marché du streaming. Cet été, le célèbre streamer Ninja a annoncé quitter Twitch suite à un partenariat exclusif avec Mixer, la plateforme de Microsoft. Il aurait empoché 50 millions de dollars pour ce deal. Quelques jours plus tard, il pesait déjà un million d’abonnés payants sur Mixer.

Mi-août, la star de Fortnite s’est adressé à son public depuis sa nouvelle chaîne pour exposer sa stratégie future pour Mixer et les besoins de la plateforme de streaming pour réussir. Un bon coup de pub pour la plateforme qui était jusque-là plutôt confidentielle. A l’inverse, bad buzz pour Twitch qui a détourné l'ancienne chaîne de Ninja en y diffusant des vidéos porno.

7Cryptomonnaie : à suivre de près

Fin juin, Facebook a annoncé le lancement de sa monnaie virtuelle Libra pour 2020, qui a suscité de nombreux commentaires et inquiétudes : problèmes (majeurs) de confidentialité, mais aussi risques aux souverainetés de certains Etats. Les ministres des Finances du G7 ont émis leurs réserves sur le projet, le Sénat américain a fixé une date d’audience à Mark Zuckerberg et l'Union européenne va lancer une enquête antitrust sur Libra.

Pendant ce temps-là, la Chine s'apprête à lancer sa cryptomonnaie souveraine.

8GAFA : taxation et enquête antitrust

Après l'échec d'un projet européen, le Parlement français a adopté une taxe sur les géants du numérique en juillet fixée à  3% de leur chiffre d'affaires s'ils réalisent au moins 750 millions d'euros de chiffre d'affaires dans le monde dont 25 millions dans notre pays.

Les ministres des Finances du G7 se sont accordés sur le principe dans la foulée mais on s’attend un bras de fer entre la France et les Etats-Unis qui juge la taxe discriminatoire lors du G7 ce week-end à Biarritz.

Le mouvement de défiance envers les GAFA se poursuit. Washington a lancé un enquête antitrust contre les GAFA en juillet et a été rejoint cette semaine par une vingtaine d'Etats américains. Le patron de la FTC n'est quant à lui pas opposé à un démantèlement des géants du numérique.

9Un œil sur la Chine

En Chine, l’Etat utilise YouTube et Twitter pour sa propagande. Les manifestants à Hong-Kong contournent la censure en utilisant PokemonGo et Tinder pour communiquer.

TikTok devient incontournable auprès de la génération Z. Au Vidcon, les TikTokers ont carrément volé la vedette aux YouTubers. La force de la plateforme : sa capacité à générer des revenus ! TikTok a par ailleurs racheté Jukedeck, une startup créant de la musique générative grâce à l'IA.

Enfin, Tencent prend des parts dans Vivendi. Tencent possède déjà 10% de Spotify, ce qui amène le Chinois à une participation équivalente dans le plus gros service de streaming et la plus grande marque de musique de l’Ouest. 

10Réseaux sociaux : les nouvelles fonctionnalités à tester

Bonus : FaceApp, l’app de l’été

Disponible depuis 2017, l'application développée en Russie qui permet de modifier une photo à l’aide de filtre, le plus souvent pour rajeunir ou vieillir la personne photographiée, a connu un regain de popularité en début d’été.

Mais les conditions générales d’utilisation de FaceApp qui précisent que "vous accordez à FaceApp une licence perpétuelle, irrévocable, non exclusive, libre de droits, mondiale (...) pour utiliser, reproduire, modifier, adapter, publier, traduire, créer des travaux dérivés, distribuer, exploiter publiquement et afficher" les photos et informations comme les noms ou pseudos, ont ravivé les débats sur l’utilisation de données personnelles.