Roblox, la plateforme à mi-chemin entre le jeu vidéo et le réseau social, compte 100 millions d’utilisateurs

Par François Dominic LaraméeBillet invité présenté dans le cadre d’un partenariat éditorial entre la plateforme FMC Veille du Fonds des Médias du Canada (FMC) et Méta-Media. © [2019] Tous droits réservés.

En franchissant la barre des 100 millions d’utilisateurs uniques mensuels, Roblox (un mix de « robots » et de « blocs ») vient de coiffer au poteau Minecraft et ses 91 millions d'adeptes. Et pourtant, il est fort probable que vous n'en n'ayez jamais entendu parlé !

Créée il y a 13 ans, cette plateforme à mi-chemin entre un réseau social, un monde virtuel et une plateforme de création qui pourrait faire penser à Second Life a réussi à fédérer une communauté fidèle et engagée de « créateurs d’expériences » dont la moitié a 12 ans ou moins et qui y passe 2,5 fois plus de temps que sur Youtube ! Forte d'une dernière levée de fond à 150 millions de dollars, l’entreprise vise le milliard d'utilisateurs. Retour sur ce succès préparé.

Réseau social ou jeu vidéo?

Fondée en 2006 par Dave Baszucki, le cocréateur d’un logiciel d’apprentissage en ligne et un des premiers investisseurs du réseau social Friendster, Roblox se définit comme un espace de « coexpérience » où les visiteurs donnent libre cours à leur imagination et interagissent entre eux plutôt que de se soumettre aux règles et aux contraintes d’un jeu traditionnel.

La coexpérience s’apparente ainsi au jeu créatif et non structuré auquel s’adonnent naturellement les enfants ; plutôt que de compléter des missions dans des niveaux de jeu, les participants explorent des expériences où les objectifs à atteindre peuvent être sans conséquence ou même inexistants. Une philosophie qui n’est pas sans rappeler celle qui animait les Second Life et autres Habbo Hotel il y a une quinzaine d’années.

Le public de Roblox

C’est en 2016, dix ans après le lancement de Roblox, que sa base d’usagers a commencé à croître de façon explosive : de 9 millions de visiteurs uniques par mois en février 2016 à 48 millions en mars 2017, puis à 90 millions en avril 2019. Et cette croissance ne montre aucun signe de ralentissement: d’avril à juillet dernier, Roblox a gagné plus d’adeptes que pendant toute sa première décennie d’existence.

Pour rejoindre de nouveaux clients, Roblox se fie au bouche-à-oreille et sur à la popularité d’un certain nombre de personnalités qui diffusent leurs séances de jeu, notamment sur YouTube.

La clientèle de Roblox est très jeune. En 2018, près de la moitié des visiteurs réguliers de la plateforme avaient 12 ans ou moins ; l’entreprise affirme d’ailleurs que la moitié des enfants américains de 9 à 12 ans comptent parmi ses fidèles. Cette jeune clientèle est aussi très assidue : selon une enquête réalisée pour le compte de Roblox par la firme d’analyse publicitaire comScore, les enfants de moins de 13 ans ont passé 51,5 millions d’heures sur le site en décembre 2018, comparativement à 19,4 millions pour YouTube et 3,4 millions pour Netflix, ce qui en ferait selon le magazine Fortune la destination Web par excellence pour ce groupe d’âge. Notons que chez les 13 à 17 ans, Roblox occupe le deuxième rang derrière YouTube.

Un modèle d’affaires basé sur la participation

Là où Roblox se distingue de ses prédécesseurs, c’est dans la robustesse de son écosystème de contenu participatif. L’entreprise met à la disposition de ses usagers un outil de conception nommé Roblox Studio, qui permet de construire et de partager des expériences avec un minimum d’effort en assemblant des composantes à l’esthétique et au comportement relativement standardisés. En faisant ainsi appel à l’imagination de son public, d’une manière comparable à ce que l’on observe dans Minecraft ou avec des blocs LEGO, Roblox s’est constitué un catalogue qui compte quelques 69 millions d’expériences et qui fait de l’entreprise une sorte de YouTube du jeu vidéo pour enfants.

(Curieusement, la version anglaise du site de l’entreprise annonce deux millions de créateurs différents pour ses 69 millions d’expériences tandis que les versions française et espagnole parlent plutôt de quatre millions de créateurs.)

En règle générale, les expériences offertes par ces développeurs de tierces parties sont relativement simples. Elles s’apparentent ainsi aux jeux gratuits des premiers temps du Web et aux premières applications pour appareils mobiles plutôt qu’à ce que l’on retrouve habituellement sur les autres plateformes d’aujourd’hui. Parmi les jeux Roblox à succès, on compte notamment des simulations d’haltérophilie, de pizzerias, de jardins zoologiques ou de simples parcs où passer du temps entre amis. La simplicité de Roblox Studio permet aussi à de jeunes créateurs de développer des expériences non traditionnelles ; un Montréalais de 11 ans a ainsi produit une activité conçue pour éduquer ses camarades aux enjeux reliés à la santé mentale.

Microtransactions

L’écosystème participatif de Roblox s’étend à la commercialisation des expériences. La plateforme propose à ses développeurs des outils de mise en marché qui permettent de conserver la promotion des expériences à l’intérieur de l’écosystème. Roblox héberge aussi les expériences sur ses serveurs, ce qui évite aux développeurs d’avoir à gérer des besoins en infrastructure qui peuvent croître rapidement en cas de succès. Dans un cas, le nombre d’utilisateurs simultanés d’une expérience est passé de 300 à 18 000 en quelques heures à l’occasion d’une campagne de promotion interne particulièrement réussie.

Les revenus générés par les expériences, surtout tirés de microtransactions comme l’achat de vêtements et d’accessoires pour les avatars, sont partagés entre les développeurs et Roblox. Ce modèle semble judicieux, tant pour Roblox que pour ses partenaires. La gratuité de la participation permet à un maximum de joueurs d’accéder à l’écosystème et d’y rester. La nature cosmétique des avantages acquis à l’aide des microtransactions fait en sorte que la concurrence (lorsqu’il y en a) n’est pas injustement influencée par la capacité de payer des participants. Enfin, pour les joueurs et pour leurs parents, le fait que les microtransactions soient effectuées à l’aide d’une monnaie virtuelle exclusive à Roblox, les Robux, permet de simplifier les achats et surtout de contrôler les sommes que les enfants peuvent dépenser.

Cependant, comme dans la plupart des écosystèmes numériques participatifs, une minorité de développeurs d’expériences Roblox reçoit la majorité des revenus. Si une dizaine de développeurs ont encaissé jusqu’ici une moyenne de trois millions de dollars chacun, la cagnotte totale versée à l’ensemble des développeurs atteint 150 millions de dollars… soit à peine plus de deux dollars par expérience publiée.

Les marques

La taille et la fidélité de la clientèle de Roblox attirent l’attention d’un nombre croissant de marques qui souhaitent rejoindre les enfants et les adolescents. Les adeptes de Roblox ont ainsi pu gratuitement habiller leurs avatars avec des costumes et des accessoires aux couleurs des clubs de football de Liverpool et de Barcelone ou à celles des lutteurs-étoiles de la WWE.

Des articles promotionnels associés à la populaire série de Netflix Stranger Things ont aussi été mis à la disposition des joueurs à l’occasion du lancement de sa plus récente saison ; pour les gagner, il fallait résoudre des puzzles quotidiens. Et lors d’un événement annuel de chasse aux œufs de Pâques numériques, les joueurs ont pu acquérir des objets virtuels aux couleurs du film Avengers : Phase finale, qui faisait son apparition sur les écrans à peu près au même moment.

L’avenir de Roblox

À court terme, Roblox compte poursuivre son expansion en attaquant le lucratif marché chinois. Un partenariat avec le géant chinois des services en ligne et de la publicité Tencent, qui a pour but de faciliter cette expansion, a d’ailleurs été annoncé au printemps.

Autre signe des ambitions planétaires de Roblox : sa page Web est disponible en 45 langues

Mais Roblox vise également à s’étendre au-delà du marché jeunesse. Il reste cependant à voir si le modèle de la « coexpérience » pourra s’adapter à un public d’adultes : malgré une présence médiatique considérable, Second Life n’a jamais dépassé un public de quelques dizaines de milliers de fidèles. Et si Roblox devait démontrer qu’il est possible de construire un écosystème de création, d’édition et de consommation de jeux vidéo pour les adultes accessible à tous, les géants du domaine comme Sony, Nintendo ou Electronic Arts ne regarderaient certainement pas passer la parade sans réagir.